Enogia : Opération diversification

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Arthur Leroux

Une technologie, deux terrains de jeu. Une dizaine d’années après le lancement de sa turbine convertissant la chaleur en électricité, la PME marseillaise se positionne sur le créneau stratégique de l’hydrogène. Sa cible : les acteurs de la pile à combustible, avec lesquels trois contrats ont déjà été signés sur le sol français.

C’est un créneau porteur, stratégique même, et il intéresse nombre d’entreprises du secteur de l’énergie. Enogia, PME née dans la cité phocéenne en 2009, ne fait pas exception à la règle. Mais si cette dernière investit aujourd’hui le marché de l’hydrogène, ce n’est pas juste pour suivre une tendance dans l’air du temps, loin s’en faut. Car la technologie brevetée, mise au point il y a maintenant plus de dix ans par le trio à la tête de l’entreprise, Arthur Leroux, Antonin Pauchet et Nicolas Goubet, se prête justement à développement sur ce segment de marché.

Pour mémoire en effet, la première activité d’Enogia, c’est la conception de turbomachines ORC ou cycle organique de Rankine, dont l’objet est la transformation des sources de chaleur, donc de l’énergie thermique, en énergie électrique. Une technologie utilisée à la base dans les centrales traditionnelles à vapeur d’eau, pour produire de l’électricité à partir de chaleur haute température et de manière essentiellement centralisée. Et exploitée donc dans le cas d’Enogia pour concevoir ce que l’on peut qualifier de microcentrale, ce qui constitue sa marque de différenciation. En effet, face à ses concurrentes, à l’instar de l’Américaine ElectraTherm et de l’Allemande Orcan, la Marseillaise se prévaut d’une capacité à concevoir des machines à très petite échelle. « En 2010, nous avons donc développé le marché ORC, tout en couvant du regard celui de l’hydrogène… Mais nous nous sommes concentrés sur nos turbomachines », raconte le cofondateur Arthur Leroux.

Déploiement sectoriel

Et les domaines d’application ne manquent pas : ces microturbines peuvent, à titre d’illustration, se greffer sur les boucles de refroidissement ou les échappements de véhicules de transport, tels les poids lourds, les trains diesel, se ménager une place dans le maritime… Mais c’est dans le domaine de la méthanisation agricole que la PME rencontre ses premiers succès. « Nous nous sommes développés au fil du temps selon deux axes. Le premier est sectoriel. Après la méthanisation agricole à nos débuts, nous nous sommes ouverts peu à peu au traitement des déchets… » ou encore à la géothermie, puisque la chaleur de l’eau circulant dans le sol peut également se prêter à ce procédé de conversion en électricité. Enfin, dès 2017, la PME fait son entrée sur le marché de la mobilité, en équipant un navire de pêche de son système dans le cadre du projet européen life efficient ship. Un développement « à poursuivre dans le transport maritime ». 

Le second axe de développement, il est géographique. « Nous nous sommes déployés, notamment à l’export : nous comptons désormais des marchés dans le monde entier », appuie Arthur Leroux. Brésil, Chine, Mexique, Qatar, Grèce, Italie, Royaume-Uni et autres contrées d’Europe de l’Ouest, comptent notamment parmi les pays possédant sur leur sol les machines d’Enogia. Une levée de fonds en 2018, voyant le groupe Faurecia, équipementier automobile filiale de Peugeot, entrer au capital de la PME, permet par ailleurs de poursuivre et d’accélérer cette internationalisation… Bref, une stratégie sur deux axes gagnante, qui vaut cette année à la Phocéenne d’intégrer, pour la deuxième fois consécutive, le classement des 500 « Champions de la croissance » de notre confrère Les Echos, ici à la 192e place. Un palmarès qui vient couronner une augmentation de chiffre d’affaires de l’ordre de 149,1 % en trois ans, de 2016 à 2019 (avec un taux de croissance annuel moyen de 35,6 %). Soit un CA passé de 1,01 M€ à 2,5 M€ dans ce même laps de temps… Elle a embauché, également, et comptait en 2019 32 salariés contre 21 trois années plus tôt.

Discussions avancées à l’international

Oui, mais… tout cela, c’était avant 2020, et l’entrée en scène du fameux virus à la couronne. Qu’à cela ne tienne : le premier confinement va jouer un rôle décisif dans la conduite de la stratégie d’Enogia, opérant de fait cette diversification d’activités et se positionnant sur le marché de l’hydrogène. Bien sûr, cela ne s’est pas improvisé du jour au lendemain non plus, explique encore Arthur Leroux. « En 2018, nous nous rendons compte avec le groupe Faurecia que notre technologie, modifiée, peut s’appliquer à l’hydrogène. En fait les deux techniques sont très proches, entre celui d’une turbine et d’un compresseur dédié à l’hydrogène. Ce dernier va juste tourner dans l’autre sens… Nous utilisons dès lors tout notre développement dans les ORC pour concevoir nos propres versions de compresseur ». Les premiers prototypes voient donc le jour. « Puis avec le premier confinement, nous avons été confrontés à l’inertie du marché ORC. Celui-ci étant plus porté par l’export, il se ferme logiquement puisque l’internationalisation devient compliquée, du fait des restrictions sanitaires ».

L’équipe profite donc de cette pause pour lancer le marché de l’hydrogène, dans la mesure où elle avait suffisamment progressé en termes de développement. « Et pendant le printemps, l’opposé se produit : c’est le marché de l’hydrogène qui devient réceptif ! » La raison : les premiers clients visés sont basés en France. Ainsi de premières offensives commerciales, de premiers contacts, échanges, s’amorcent en distanciel entre mars et mai. Et trois contrats seront signés au cours de l’été. « Nous enregistrons ainsi nos premiers succès commerciaux auprès des grands acteurs de la pile à combustible en France, ce qui valide nos positionnements, technologique et en termes de marché. L’idée à présent, c’est de développer, main dans la main avec nos clients, la machine adaptée à leurs besoins ». Parmi les cibles, monde de la mobilité lourde, marché de la pile à combustible relative au maritime, ferroviaire et transport terrestre. Là encore, le déploiement se veut international, et de fait, l’équipe d’Enogia se trouve « en discussion avancée aujourd’hui avec plusieurs groupes à l’étranger ».

L’opération diversification d’Enogia est par ailleurs loin d’être achevée : « nous sommes en train d’engager un troisième développement, celui-ci plutôt lié à l’économie de la fonctionnalité. Nous envisageons de proposer, outre la vente de nos machines, la possibilité de les louer ou de les partager », annonce Arthur Leroux.

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