Comment la musique peut servir la performance en entreprise ?

Ancien DRH devenu musicologue, Eric Chaillier vient de publier « Leadership et Musique » (éd. Mardaga). Ou comment l’éducation esthétique, notamment musicale, peut se mettre au service de la performance en entreprise.

Photo Eric Chaillier
Eric Chaillier

Vous venez de publier « Leadership et musique », quelle est la thèse principale du livre ?  Quel est le rapport entre la musique et le management ?

Ce livre est le fruit de mon expérience de DRH, membre de comité de direction, devenu musicologue, et qui anime depuis près de vingt ans des séminaires musicaux en entreprises. Ma conviction est qu’une solide éducation esthétique constitue un atout décisif dans un monde de plus en plus complexe, dématérialisé et incertain. C’est aussi la thèse principale du livre. L’œuvre d’art ne se contente pas d’embellir nos vies, elle nous apprend à observer, à écouter, à décoder, bref à penser. C’est en cela qu’elle est une source d’enseignement primordiale pour chacun d’entre nous et pour tous ceux qui sont en position de leadership. De même qu’il est possible de faire de sa vie une œuvre d’art, je plaide pour une esthétique du leadership qui allie le vrai, le beau et le bien, montrant l’exemple et tirant l’Homme vers le haut.

L’exemple de la musique permettrait de mieux diriger au sein de l’entreprise ?

La musique, elle est l’art du temps, du rythme, de l’harmonie, elle est aussi une école de rigueur et de persévérance. Le dirigeant doit impulser l’élan, donner le bon rythme, choisir le bon tempo, par sa capacité, par exemple, à développer une réflexion lente et approfondie, mais à œuvrer pour une mise en place rapide. Entrer dans un opéra ou dans une symphonie, c’est ressentir des émotions, de l’énergie, c’est aussi entrer en empathie avec les personnages et avec le compositeur. C’est tenter également d’en saisir le sens, la structure, la logique interne. Les capacités d’écoute et d’observation s’en trouvent considérablement renforcées, ce qui permet de disposer de ce qu’on pourrait appeler une intelligence sensible, cocktail subtil de pensée et de sentiment, d’intuition et de pragmatisme, d’introspection et de communication.

Quelles sont les vertus ou les qualités d’un chef d’orchestre utiles pour un manager ?

Comparaison n’est pas raison et j’insiste, dans mon livre, sur les différences de nature entre ces deux fonctions. Les convergences sont toutefois nombreuses. Les plus grands chefs d’orchestre ont cette capacité de permettre à chaque musicien de donner le meilleur de lui-même, de se dépasser, à la fois individuellement et collectivement.

Une partition n’étant qu’une promesse de musique, le chef doit entraîner cette collectivité de musiciens autour d’une vision, ce qui nécessite à la fois une connaissance approfondie de l’œuvre et de nombreuses répétitions.

Il doit maîtriser parfaitement la partie technique et donner de la densité, de l’intensité. Car précision sans émotion n’est que froideur. Les grands orchestres sombrent parfois dans l’uniformisation du son et la routine. Le chef d’orchestre doit briser cette routine et proposer une vision nouvelle, exaltante, poétique de l’œuvre.

Un mot sur votre parcours personnel Vous êtes diplômé de Sciences Po Paris, puis vous avez été DRH, comment et pourquoi êtes-vous devenu musicologue ?

Par passion. J’ai choisi les ressources humaines, car j’ai toujours pensé que l’homme était au cœur de tout processus de création de valeur. Il en est de même dans l’art et tout particulièrement dans la musique, qui se joue le plus souvent à plusieurs et fait intervenir des pupitres très différents, mais complémentaires. Les meilleurs orchestres sont ceux où les musiciens s’écoutent entre eux et dans lesquels, par exemple, les cuivres n’écrasent pas les cordes. Je sentais que je pourrais m’exprimer pleinement dans ce nouveau métier. Je voulais aussi sortir de ma zone de confort, vivre une nouvelle expérience, allier ma passion et mon travail.

Quelle place accorder à l’intelligence émotionnelle et comment la développer dans l’entreprise ?

couv CHAILLIER

L’intelligence émotionnelle est une notion désormais bien connue en entreprises. J’ai pu constater toutefois qu’il y a beaucoup plus de croyants que de pratiquants ! L’être humain est complexe et il n’est pas facile d’exercer le pouvoir. Loin de moi l’idée de vouloir donner des leçons. La première question à se poser est : quelle relation j’entretiens avec mon pouvoir ? Il est important d’être au clair sur ce point si on ne veut pas confondre autorité et autoritarisme, management et défoulement. J’ai pu constater le manque d’écoute, de considération, et même parfois de respect qui sévit encore dans nombre d’entreprises. Beaucoup de salariés ne trouvent toujours pas leur compte lorsqu’ils mesurent le rapport entre leur contribution et leur rétribution. Il y a là un gâchis humain et un enjeu considérable en termes de productivité. L’écoute doit être encouragée et développée à tous les niveaux, car elle est fondamentale.

Elle implique disponibilité, volonté, curiosité et ouverture d’esprit, autant dire le travail d’une vie… La fréquentation des grands chefs-d’œuvre de l’art peut y aider, car elle requiert un engagement actif de toutes les fonctions du psychisme : intelligence, émotion, intuition, sensoriel.

Le chef d’orchestre fait jouer une partition qui est écrite tandis que pour le chef d’entreprise rien n’est écrit, n’est-ce pas là une grande différence ?

Oui, bien sûr et je souligne cette différence dans mon livre. La partition du chef d’orchestre est immuable, elle remonte le plus souvent aux XVIIIe et XIXe siècles. Certes tout n’est pas toujours explicite, les tempi ne sont pas toujours indiqués de même que l’équilibre entre les différents pupitres. Mais le cadre a été fixé par le compositeur, qui y a mis beaucoup de lui-même et qui parfois ajoute des mentions manuscrites sur la partition. Or, la partition du chef d’entreprise et le cadre dans lequel il évolue changent sans arrêt. Il doit s’adapter en permanence, car les attentes des clients, la concurrence, les avancées technologiques, les crises sanitaires, autant de facteurs qui changent la donne et imposent des évolutions parfois brutales.

Le Jazz fait souvent appel à l’improvisation, est ce qu’il est bon d’improviser quand on manage ?

Le Jazz est une école d’improvisation et de plaisir partagé. On présente un thème ou deux, des variations et puis on improvise dans un esprit de fête et de joie. Il n’y a pas toute la structure ni même l’esprit de sérieux, une certaine solennité que l’on trouve dans la symphonie classique ou romantique.

En management, les règles du jeu doivent être clairement énoncées ainsi que les critères sur lesquels on évalue les performances.

On n’est jamais assez explicite. Mais cela n’exclut pas une certaine dose d’improvisation. S’il convient d’être ferme sur l’objectif et sur les valeurs, on peut se montrer plus souple sur les moyens d’y parvenir. S’adapter c’est souvent improviser et l’intelligence collective trouve ici toute sa justification.

Quel musicien vous paraît le plus « inspirant » pour le management ?

Beethoven, incontestablement, car il est une leçon de courage, de volonté et de dépassement. Il accomplit l’exploit de mettre en musique les affres de son drame intime tout en restant relié aux autres hommes et en leur dispensant un sublime message d’espoir. Basée sur le rythme et l’énergie, sa musique est l’expression de l’élan vital, du dynamisme de l’homme. Elle parvient à restituer les joies et les peines, les combats que nous avons à mener, en incitant chacun d’entre nous à se mettre en mouvement, à lutter et à promouvoir des valeurs humanistes.

Partager cet article