Couvre-feu : les restaurateurs s’adaptent

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Paris, boulevard des Batignolles, vendredi 23 octobre 2020 vers 20h : deux clients seulement sont attablés.
Crédits : Heidi Othe

Pour « freiner la diffusion du Coronavirus », le Président de la République a annoncé mercredi 14 octobre 2020 qu’un couvre-feu serait mis en place à partir du samedi 17 octobre, entre 21 heures et 6 heures, en Île-de-France ainsi que dans huit métropoles : Lille, Grenoble, Lyon, Aix-Marseille, Montpellier, Rouen, Toulouse et Saint-Etienne. Durant six semaines, restaurateurs, tenanciers de bars, responsables de salles de spectacle devront s’adapter — esprit darwinien oblige. Tour de France des réactions.

Extinction des feux au pays des Lumières. Samedi 17 octobre 2020 a marqué le début d’un couvre-feu qui devrait durer jusqu’au 1er décembre, d’après Emmanuel Macron. Dans un contexte de tensions préexistantes, une note de l’Insee datée du 6 octobre 2020 nous éclaire quant aux prévisions de l’effet du Coronavirus sur notre économie :  « après le vif rebond associé au déconfinement (+16 % prévu au troisième trimestre, après –13,8 % au deuxième et –5,9 % au premier), l’activité économique pourrait ainsi marquer le pas en fin d’année sous l’effet de la résurgence de l’épidémie. Dans un scénario où, au quatrième trimestre, les services les plus affectés (hôtellerie-restauration, services de transport, activités récréatives et de loisirs) reviendraient, après une embellie durant l’été, à leur niveau d’activité de juin dernier et où l’investissement resterait, par attentisme, à un niveau proche de celui du troisième trimestre, la croissance serait nulle en fin d’année ».

Des réactions très diverses partout en France

À Toulouse, un collectif a lancé une requête en référé liberté contre l’arrêté préfectoral du 12 octobre qui prévoyait la fermeture des commerces durant quinze jours : saisi par des restaurateurs et des cafetiers, le tribunal administratif de la « Ville Rose » a cassé l’arrêté du préfet de Haute-Garonne indiquant « qu’aucun foyer de contamination n’avait été relevé dans ces établissements ». Bien que le tribunal administratif leur ait donné raison, le soulagement a été de courte durée : les lumières devront tout de même être éteintes à 21 heures chaque soir en raison du couvre-feu.

À deux pas du Vieux-Port, à Marseille, Frédéric Jeanjean, patron de la brasserie des Templiers et secrétaire général de l’Umih13 (l’Union des métiers et industries de l’hôtellerie des Bouches-du-Rhône) propose l’humour en guise de réponse. « C’est bientôt Halloween… Je vais créer une société de morts-vivants » glisse-t-il pour commencer la conversation. Derrière cette prise de distance, la volonté d’une cohérence. « Entre les mesures fascisantes, les contrôles non coordonnés entre la police et les services municipaux, le fait que ces décisions ne s’appliquent pas à toute la France… Tout ceci soulève des questions » poursuit cet homme au vécu riche en évènements. « Bien que j’applique le protocole sanitaire strict, et même plus dur que ce qui est pratiqué, lorsque j’ai proposé d’aller jusqu’à prendre la température des clients entrant, en plus des masques et des gels hydroalcooliques mis à disposition, cette idée n’a pas été retenue. On a le droit de manger un steak, mais pas de prendre un café. Pour certains c’est oui, pour d’autres non. Au milieu de tout cela, nos chiffres baissent et avec eux, la TVA. Cette même taxe qui permet de financer d’autres secteurs comme l’éducation, la défense, les collectivités territoriales… Tout ceci est kafkaïen… », conclut-il.

Direction la capitale de la gastronomie. À Lyon, les frères Louf, fondateurs de la Broche (un concept proposant depuis juin 2016 des kebabs cuisinés avec des produits frais, des poulets élevés en France et des sauces maison qu’ils ont inventées), ont choisi de demeurer tels qu’ils sont en temps de paix. Agréables et souriants, 24/24. Leurs deux premiers restaurants tiennent le choc post Covid et un troisième bébé arrive même bientôt… Du côté de la gare Part-Dieu. La naissance est prévue pour décembre. Sans doute parce que ces deux gangsters du sandwich rapide saupoudré de qualité ont astucieusement choisi d’anticiper et de s’adapter non seulement au marché, mais aussi aux aléas de l’actualité. Au mois de mars, le confinement s’abattant sur le pays, David et Fabrice ont très vite communiqué sur leur possibilité de livrer à domicile. Leur enseigne rue de Marseille fermant à 22 h, celui rue Romarin à 23 h, ils maintiendront leurs horaires puisqu’ils continueront ledit système de livraison à domicile. De leurs voix graves, ils affirment être optimistes en toutes circonstances et semblent voir les choses du bon côté.

En plein cœur de Lutèce, Thierry Dallens, patron du restaurant So’Chick a lancé un appel sur les réseaux sociaux. Avec le hashtag #Aidonsnouslesunslesautres, celui que le Tout-Paris surnomme « Titi » propose des apéros dînatoires, d’embarquer son repas de 18 h à 20 h 15, mais également de recevoir ses amis du one man show afin qu’ils puissent faire perdurer leurs spectacles. « Voilà, si chacun de vous pouvait donner un coup de main à nos amis artistes et nous restaurateurs, faites-le !! Si vous pouviez partager en masse ! Ah oui… Évidemment je vous ferai de super prix » pouvait-on lire sur son Facebook. Encore de la bonne humeur, cette fois avec l’esprit d’entraide en plus.

Ailleurs, ce sont d’abord des dispositions préalables à un couvre-feu qui ont circulé dans certaines villes : le maire d’Arras, Frédéric Leturque, avait décliné l’arrêt du Préfet, mais avait tout de même appelé à une responsabilité collective, pour éviter que le Pas-de-Calais ne devienne un lieu de retranchement des fêtards lillois. Le flou n’a pas duré longtemps : c’est tout le Nord Pas-de-Calais qui sera placé en zone d’alerte maximale au Coronavirus ce jeudi 22 octobre 2020.

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Eschau, en Alsace

À Agen, pas de couvre-feu, mais des « décisions farfelues », explique Alexandre Ghadimi, patron des Papys Fêlés, un bar à huître implanté sous les Cornières. Frappé de huit jours de fermeture administrative en septembre, Alexandre dénonce un « respect aléatoire selon votre faciès ou vos relations et, si vous contestez, alors c’est la sanction ». Pour autant, plutôt que de céder à l’énervement, il préfère imaginer son nouveau concept de « Happy hour à crevettes », où l’on pourrait, en sortant du travail, venir se détendre autour de quelques crustacés et d’un bon verre de vin blanc… Sans trop tarder non plus, pour le respect de tous. « Après tout, en Grande-Bretagne on dîne beaucoup plus tôt non ? » dit-il en souriant.

Art de vivre à la française

« Tout le monde va s’adapter », a affirmé le Premier ministre Jean Castex. Évidemment, lorsque l’on sait qu’environ 20 % des Français déclarent se rendre au restaurant au moins une fois par mois et que, malgré la hausse des impôts, du chômage, ils continuent de penser que c’est une façon de passer du bon temps avec leurs proches…

Subséquemment, on se dit que la population bleu blanc rouge trouvera toujours le moyen de sortir, de festoyer, de sourire. « Cette manière de vivre, qui incarne tout ce que les fanatiques religieux du monde détestent… » C’est bien ce que le New York Times soulignait après les attentats de 2015, non ?

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