COVID-19 : Quid du crédit inter-entreprises ?

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© Can Stock Photo / pressmaster

Déterminés à ne pas laisser se reproduire les erreurs du passé, les acteurs de l’économie en PACA se sont attelés très tôt à juguler un comportement problématique entre entreprises, le non-paiement des fournisseurs. Objectif : éviter le risque potentiel de l’effet domino. Et donc, la faillite généralisée.

La leçon de la crise de 2008 a visiblement été retenue en PACA. C’est ce que l’on gardera en mémoire de la façon dont le monde économique a géré une question cruciale s’il en est : celle du paiement des fournisseurs pendant le confinement. « C’est la défaillance du crédit inter-entreprises, de la confiance entre les uns et les autres qui a créé cette crise financière aussi », rappelle Philippe Korcia président de l’UPE13[1]. Ainsi, les décideurs locaux ont-ils rapidement pris la question à bras-le-corps, alors même que de premières TPME, dès le mois de mars, ont évoqué leurs difficultés à se faire payer. C’était par exemple « quelques grandes entreprises qui ne jouaient pas le jeu, qui ont dit « on ne paye plus les loyers, ni les fournisseurs, on arrête tout ». Et ça ce n’est pas normal », revient par exemple Lionel Canesi, président du CROEC[2]  Paca. Et Philippe Korcia de renchérir : « Une grande entreprise qui a touché un PGE de 50 ou 60 millions d’euros ne peut pas retenir la facture d’une TPE de 4000 ou 5000 euros. D’autant que les TPE, c’est 85% de notre tissu économique ! » Parmi les problèmes recensés, des commandes acceptées mais non payées, voire du matériel sur-mesure refusé à la livraison et donc impossible à revendre…

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Pour Philippe Korcia, président de l’UPE13, le fait d’avoir agi en amont a permis d’éviter d’entrer dans une spirale de non-paiements des fournisseurs, possible préalable à une faillite généralisée.

Même constat à la CCIAMP[3], désignée le 17 mars par l’Etat comme le guichet unique des dispositifs d’accompagnement des dirigeants. « Quand on a pu avoir à intervenir, c’était plutôt des différends entre PME. Mais il y a aussi le public, qui enregistre des retards de paiement habituels. Sauf qu’en cas de tension de trésorerie, ça devient un gros problème ! De surcroît trois collectivités, la Métropole Aix-Marseille Provence, la Ville de Marseille et celle de Martigues, ont été victimes de cyber-attaques au mois de mars », revient Jean-Luc Chauvin, président de la Chambre, évoquant le rôle d’intermédiaire joué alors par cette dernière pour accélérer le paiement des fournisseurs.

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Jean-Luc Chauvin, président de la CCIAMP, comptabilise peu de cas d’entreprises mises en situation délicate à cause du non-paiement de leurs produits ou prestations. Crédit photo: CCIAMP

De façon globale, une trentaine d’instances économiques se sont engagées dans une communication commune. Très vite au sein de cette cellule, la question du crédit inter-entreprises a été abordée. « Le 16 mars, nous avons lancé l’idée d’un hashtag payons nos fournisseurs. Nous avons envoyé une circulaire à tous les experts-comptables de la région pour leur rappeler qu’ils sont le premier conseil des entreprises, et qu’à ce titre ils devaient les exhorter en ce sens », reprend Lionel Canesi. L’UPE13 n’a pas manqué de se mobiliser elle aussi, diffusant une lettre ouverte, mais envoyant aussi « un courrier à toutes les grandes entreprises du territoire, mentionnant que le crédit inter-entreprises représentait en France plus de 700 milliards d’euros », détaille Philippe Korcia, revenant par ailleurs sur la réalisation d’un logo téléchargeable, « entreprise responsable, je paie mes fournisseurs ». Du côté de la Chambre enfin, on a orchestré, fait passer le message. Notamment en organisant un live avec Pierre Pelouzet, médiateur des entreprises.

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Du côté du CROEC PACA, on s’est rapidement mobilisé sur la question du paiement des fournisseurs avec le lancement d’un hashtag, explique son président Lionel Canesi.

Le possible sentiment de culpabilité des entreprises

Et contre toute attente… il semblerait que les vents aient peu à peu tourné. C’est ce que constate Philippe Korcia, ayant pourtant martelé, dès le 6 avril, son intention de signaler à l’Etat les entreprises retorses à la question… « mais je n’ai pas eu à le faire». Tandis que Jean-Luc Chauvin évoque les chiffres émanant des 6800 entrepreneurs ayant appelé la Chambre pour se faire aider. « Sur ces 6800, 1000 entreprises nous ont contactés spécifiquement pour des problèmes de trésorerie. Quand nous n’avons pas trouvé de solution, nous les avons envoyées sur la médiation des entreprises. A ce jour, 25 demandes ont été formulées. Spécifiquement sur la question du report du paiement des factures, nous n’avons pas eu de retombées plus que ça ». Alors, pour quelles raisons ? C’est déjà dû à l’effet PGE, analyse Lionel Canesi. « Passé le choc des trois premières semaines, certains ont pu grâce à ça reconstituer de la trésorerie et remis en marche le règlement des fournisseurs. » Mais il semblerait que le réflexe de l’écosystème économique local, agitant très tôt le chiffon rouge sur cette question, ait contribué à couper l’herbe sous le pied de cette tendance mortifère, explique Philippe Korcia. « Le sentiment de culpabilité des entreprises a joué. Peu d’entre elles ont téléchargé notre logo. En revanche, on a observé qu’elles ont commencé à payer davantage leurs fournisseurs. »  

Et parfois même, quand la trésorerie le leur permettait, elles ont devancé le mouvement en payant en amont de ce que dicte la loi LME. C’est le cas de l’opérateur telecom et hébergeur marseillais Jaguar Network. « La majorité de nos clients est en difficulté. En tant qu’opérateur, nous fournissons des services essentiels, donc nous nous devons de maintenir un écosystème à flot. A la fois pour que les entreprises survivent, mais aussi parce que nos fournisseurs sont nos premiers partenaires. Et sans nos fournisseurs, on n’est pas capable d’être à 100% comme on doit l’être au cœur d’une crise. Ainsi on a payé immédiatement. Dès le début du confinement, on a reçu des chefs d’entreprise inquiets de voir s’arrêter leurs prestations. On les a rassurés. Et oui, on continue de faire des ménages dans des bureaux vides. On est là pour ces entreprises aujourd’hui, elles seront là pour nous demain. » Sachant que Jaguar Network héberge des opérateurs d’intérêt vital, qui plus est en ce moment : hôpitaux, militaires, administrations, « certaines ayant basculé en télétravail. On a donc été de suite dans l’œil du cyclone. Notre charge réseau a été multipliée par deux, nous avons été très mobilisés pendant les premières semaines du confinement pour nous assurer que tout allait tenir. Heureusement nous avons pour politique de sur-dimensionner nos infrastructures. »

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Jaguar Network, opérateur telecom et hébergeur, a choisi de payer ses fournisseurs sans attendre pour garder la cohésion du tissu économique local, explique son dirigeant Kevin Polizzi

Si Jaguar Network a été précurseur, d’autres ont suivi dans la foulée, entreprises ou  « établissements publics comme le GPMM[4], le quartier d’affaires Euroméditerranée ou l’aéroport Marseille-Provence, qui ont fait en sorte de respecter, voire de devancer les paiements », observe Jean-Luc Chauvin, évoquant un appel collectif lancé pour en suggérer l’idée.

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Le CJD s’est très tôt exprimé sur la question du paiement des fournisseurs en temps de crise.

Enfin, le monde entrepreneurial a aussi apporté sa pierre à l’édifice. Notamment certaines start-up dont le paiement des fournisseurs se situe au cœur de l’activité, comme la Marseillaise Good Payeur. « Notre solution, comparatrice des délais de paiement est fondée sur trois piliers. Le premier, un agrégateur de données sur les comportements de paiement des entreprises et des administrations. Le 2ème, une solution d’auto-recouvrement à destination des entreprises créancières. Et enfin, le 3ème, une labellisation, pour rendre visible les bons payeurs », détaille l’un des fondateurs, Jean-Charles Ize. Alors forcément, l’entreprise, comptant quelque 1500 utilisateurs, a été sollicitée dans le cadre du confinement, d’autant qu’elle a mis en place des outils spécifiques, notamment de veille. « Nous proposons aux entreprises de nous transmettre une fiche de structures à mettre sous surveillance et si ces entreprises éprouvent des difficultés, nous les alertons. Ce peut être des clients, des fournisseurs, des prospects… Cette offre est gratuite, elle fonctionne bien. » L’équipe a par ailleurs upgradé son outil de recouvrement en intégrant le contexte actuel. Et celui-ci est prisé de la clientèle. « Les entreprises ont désormais accès à des modèles et des mises en demeure adaptées, elles peuvent proposer par exemple à un débiteur d’entrer en négociation et de faire un échéancier. » Puisque Jean-Charles Ize préconise, en ces temps particuliers, de ne pas mettre la pression sur les débiteurs. « On ne peut pas résoudre les problèmes d’aujourd’hui avec les recettes d’hier », conclut-il.


[1] Union pour les entreprises 13

[2] Conseil régional de l’ordre des experts comptables

[3] Chambre de commerce et d’industrie Aix-Marseille Provence

[4] Grand port maritime de Marseille

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