Comment mettre en place le flex-office ?

Dans le monde d’après, les salariés auront-ils encore un bureau attitré ? Début 2021, 55 % des chefs d’entreprise pensent sérieusement s’y mettre, selon une enquête Deskeo, spécialiste des bureaux flexibles. Le Coronavirus, les confinements, la généralisation du télétravail sont passés par là. De même que les inquiétudes sur l’avenir et la nécessité de limiter les dépenses. Colonies, une entreprise du secteur immobilier, a décidé de sauter le pas. Spoiler : ce n’est pas qu’une question d’économie.

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Olivia de Vial

Olivia de Vial, DRH, est arrivée chez Colonies à la fin de l’année 2019. L’entreprise est spécialisée dans le coliving, un concept d’habitat partagé né dans les années 2000 aux Etats-Unis. Dans une habitation en coliving, il y a les espaces privés — un studio, une petite chambre — et des espaces collectifs : salon, bibliothèque, cuisine, salle de sport, jardin que se partagent les habitants. Quand Olivia a pris le poste de DRH, l’entreprise, dont les bureaux sont situés à Paris dans le 10e arrondissement, comptait 25 salariés. Chacun avait son bureau, et « le télétravail était une pratique assez exceptionnelle » rapporte la DRH. Cela allait très bien aux dirigeants comme aux managers, enclins à penser que pour que les gens travaillent, il faut une ambiance de travail. Et cette ambiance, on la trouve à côté de ses collègues et sous le regard de son chef. Puis, il y a eu le premier confinement et la généralisation du télétravail.

Des rituels

Dans le service RH de Colonies, on s’inquiète de savoir comment chacun vit ce basculement en télétravail à 100 % du temps. Chaque mois, un questionnaire « bien-être » est envoyé aux salariés. « Certains le vivaient plutôt bien. Nos développeurs ont apprécié de pouvoir se concentrer sans être déconcentré par le bruit ou les collègues. D’autres, comme moi, ont besoin d’être au bureau, de voir les collègues. C’est une question de nature du travail, mais aussi de tempérament » estime la DRH. De leur côté, les managers, troublés au départ, apprennent à animer et motiver leurs équipes à distance. « Nous avons instauré des rituels pour ne pas rompre le lien. Chaque semaine, les équipes se retrouvent autour d’un café virtuel. Chaque semaine, le manager fait un point individuel avec chacun. Chaque mois, les dirigeants réunissent l’ensemble des salariés pour communiquer sur la stratégie et les projets en cours » explique Olivia de Vial.

Pendant ce premier confinement, l’entreprise grossit. Au début de l’été 2020, ils sont 45 salariés pour 45 bureaux. Mais avec le protocole sanitaire, et les mesures de distanciation sociale, ils ne peuvent être que 30 en même temps dans l’entreprise. L’entreprise teste alors une application, « Café », permettant de réserver une place au bureau. L’entreprise grossit encore : 70 salariés au printemps 2021, et en septembre ils seront 100. « Le projet de déménagement était dans les tuyaux. Nous avions évoqué le flex-office. Les confinements nous ont permis de valider ce choix et de mettre en place dans le même temps une politique souple de télétravail », rend compte la DRH. D’après une enquête de l’Association nationale des DRH et du Boston Consulting Group, l’été dernier, 85 % des DRH souhaitaient développer de manière pérenne le télétravail. Les deux tiers pensent pouvoir en retirer des gains de productivité. En février dernier, 55 % des entreprises interrogées par Deskeo, spécialiste des bureaux flexibles, déclarent vouloir passer prochainement en flex-office, afin de réduire les coûts. L’immobilier est le deuxième poste de dépenses après les salaires. Et « un bureau, même avant le Coronavirus, du fait des congés, des déplacements, des réunions, est occupé que de 50 % à 70 % du temps » indique le cabinet Deloitte. Le développement du télétravail, mais aussi les inquiétudes sur l’avenir poussent les entreprises à optimiser leur espace de travail.

« C’est une erreur, d’envisager un projet de flex-office juste pour réduire l’espace et donc les coûts. Les économies que l’entreprise réalise sur l’immobilier, elle peut les perd en productivité. Des études, notamment celles de l’Observatoire Actineo, montrent que l’espace de travail a un impact sur le bien-être, la motivation et l’efficacité des salariés » prévient Rémi Mangin, dirigeant du cabinet CDB. Selon Deskeo, avant le Coronavirus, 16 % des entreprises avaient adopté le flex-office et le bilan y était mitigé : seulement 1/3 des salariés en étaient satisfaits. « Je n’ai jamais mis moins d’une demi-heure pour récupérer mes dossiers dans mon caisson attribué, installer mon pot de crayons, brancher mon ordinateur, régler l’écran à la bonne hauteur… et moins d’une demi-heure le soir pour tout refaire en sens inverse, y compris le nettoyage du bureau » peste Dominique, dont l’entreprise est passée en flex-office il y a près de 3 ans.

Comprendre l’ADN de l’entreprise

« Comme il y a plus d’employés que de bureaux, les jours où tout le monde est là, ça déborde et ça devient “petit meurtre entre amis” entre les équipes pour s’arroger certains espaces » commente une autre salariée victime des bureaux partagés. « Une étudiante, stagiaire dans une entreprise en flex-office m’a confié qu’elle avait l’impression de travailler dans une bibliothèque universitaire : on arrive, on s’installe au milieu d’inconnus, on bûche en silence et on repart avec son cartable. L’organisation devient un lieu de passage, dépourvu de rituels » témoigne Delphine Minchella, enseignante-chercheuse en spatialité à l’école de commerce EM-Normandie. « L’espace de travail doit être pensé comme un appui au management, et au travail collectif. Quand une entreprise vient nous voir avec pour projet d’aménager ses bureaux, notre premier travail, avant d’élaborer des plans, est de comprendre son ADN, son identité, et de la questionner sur son type de management et le type de travail (collectif, créatif, etc.) qui est mené dans ses locaux. C’est essentiel. La réduction de l’espace est secondaire et pas automatique. L’important est d’avoir un espace de travail mieux pensé » explique Rémi Mangin de CDB.

Colonies avait trouvé le lieu idéal, avant que l’opération capote : un hôtel particulier parisien. « Il y avait des plateaux avec en tout 60 postes de travail, des petites cabines pour s’isoler et passer des coups de fils et des espaces de partage : un jardin, une grande cuisine. Nos équipes d’architectes avaient réfléchi aux aménagements pour rendre cet espace chaleureux (lampes et canapé design, couleurs joyeuses) et qu’on s’y sente comme à la maison, comme dans les espaces que nous aménageons pour nos clients » confie la DRH. En attendant de retrouver la perle rare, pour septembre elle espère, Colonies peaufine le projet. Les développeurs travaillent sur une application maison, permettant de réserver une place précise au sein des nouveaux locaux. « Le risque avec le flex-office c’est de ne pas trouver de place à côté de son équipe de travail. Le mélange a du bon, mais parfois pour avancer on a besoin d’échanger avec un collègue de son service » explique Olivia de Val. Pour donner envie aux salariés de venir dans l’entreprise et de partager de bons moments avec les collègues, la DRH compte mettre en place des cours de sport et de cuisine. Elle entend également inciter fortement chacun à venir au moins une fois par semaine dans les locaux. « Il est important de se voir régulièrement pour créer du lien », estime-t-elle. Et côté économies ? « Celles que nous avons faites avec le report du déménagement sont réinvesties en outils pour apporter un confort de travail à nos salariés : casques antibruit, nouveaux écrans. A termes, en partageant les bureaux, nous ferons sûrement des économies. Mais c’est une conséquence du projet, pas sa cause » affirme Olivia de Vial, DRH de Colonies.


Crédit Photo : Can Stock Photo – boggy

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