Qu’est-ce qui pousse les managers à adopter les mêmes outils de gestion ?

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Moutonniers, les managers ? (Crédits : Can Stock Photo / muha04)

Nous avons déjà tous assisté à un séminaire, une réunion où nombre de managers employaient le même champ lexical et s’appuyaient sur un même outil, une même logique, émanant généralement d’une entreprise ou d’un pays affichant une insolente croissance. Et quelques mois plus tard… plus rien. La solution miracle semblait déjà remplacée par une autre formule idoine et son cortège d’histoires incroyables. Comment peut-on expliquer une telle situation ? Quels mécanismes induisent une telle uniformisation ?

Une première explication suggère que les managers adoptent un outil car il est le plus approprié pour répondre simplement et efficacement aux contraintes techniques auxquels ils sont confrontés. Greenwood et Hinings (1996) observent toutefois que cette explication n’est pas entièrement satisfaisante. Notamment, parce qu’elle ne permet pas de comprendre pourquoi un grand nombre de managers adoptent, de façon quasi simultanée, le même outil de gestion alors qu’ils appartiennent à des secteurs d’activités différents, soumis à des logiques distinctes.

Tolbert et Zucker (1983) estiment à cet égard qu’il convient de dépasser la vision selon laquelle seule la valeur intrinsèque d’un outil de gestion déterminerait sa demande. Il conviendrait, autrement dit, de prendre à la fois en considération les éléments d’ordre « technico-économique » (c’est-à-dire liés à la gestion de l’entreprise en tant que telle) et les éléments d’ordre « sociopsychologique » (liés au décideur en tant qu’individu) afin d’élucider ce phénomène.

Or, une théorie étudie justement à l’aune de ces deux facteurs le mécanisme de diffusion d’un outil de gestion. Il s’agit de l’approche sociologique de la théorie néoinstitutionnelle. Ce cadre d’analyse est né en 1977 avec les publications de Meyer et Rowan. Il s’appuie sur des productions institutionnalistes plus anciennes élaborées par Selznick (1949), Parsons (1937) ou encore Commons (1931).

La théorie néoinstitutionnelle partage avec la théorie institutionnelle un doute quant à l’efficience économique des comportements managériaux et la conviction que les mouvements collectifs finissent par se convertir en normes. La théorie néo-institutionnelle a développé trois grands principes qui ont en commun d’observer un certain scepticisme quant à la rationalité des individus et des organisations, à savoir : l’institution, l’imitation et la légitimité. Ces principes viennent en compléments des travaux qui placent les éléments d’ordres « technico-économiques » au centre du phénomène de diffusion d’un outil de gestion.

L’institution

Le premier principe souligne que le comportement d’une organisation est régi via un ensemble de normes, de valeurs, de croyances et de définitions. Les néo-institutionnalistes nomment cet ensemble de facteurs : le système de règles institutionnelles. Un outil de gestion est dit institutionnalisé dès lors qu’il est collectivement reconnu comme étant en adéquation avec ce système.

Il s’agit, en règle générale, de dispositifs appuyés sur une série de fondements scientifiquement reconnus dont l’efficacité apparaît validée par les dires d’experts et par la performance de firmes leaders. Un acteur pourra ainsi opter pour un dispositif dit institutionnalisé, sans réflexion véritable, simplement parce qu’il tend à suivre les normes sociales sans réellement s’interroger à leurs sujets.

L’imitation

Le second principe souligne que le comportement d’une organisation est soumis à un phénomène de mimétisme. Le mimétisme est relié à une notion fondamentale chez les néo-institutionnalistes qui est le champ organisationnel, à savoir, un collectif d’entreprises homogènes aux comportements similaires qui bénéficient, en règle générale, des mêmes conseils pour améliorer leur performance.

Les néo-institutionnalistes observent qu’un « champ organisationnel est composé d’une ou quelques entreprises pionnières, à forte capacité d’influence, et de quelques entreprises suiveuses ». Dans ce cadre, si une entreprise dite influente communique sur la prétendue efficacité d’une pratique de gestion, il est fort probable que cette annonce oriente le comportement d’autres acteurs du champ, et ce, en dépit de motifs purement économiques.

La légitimité

Le troisième principe souligne que les organisations sont en quête de légitimité, c’est-à-dire qu’elles recherchent une certaine forme de reconnaissance vis-à-vis de leur environnement. Suchman (1995) définit la légitimité comme « une perception ou une représentation généralisée, selon laquelle les actions d’une entité sont désirables, justes et appropriées, à l’intérieur d’un certain système socialement construit de normes, de valeurs, de croyances et de définitions ».

Alvarez et Mazza (2000) ajoutent que la légitimité constitue une position d’acceptation sociale qui permet de ne pas être remis en cause. Son obtention facilite de fait l’accès aux ressources car les parties prenantes établissent plus spontanément des transactions avec des organisations perçues non seulement comme plus attractives, mais aussi plus significatives, prévisibles et dignes de confiance.

Les entreprises tendent ainsi à adopter des pratiques dites institutionnalisées afin de démontrer qu’elles sont en phase avec le système de règles institutionnelles. Ce phénomène se matérialise en outre par l’usage de dispositifs apparemment rationnels appuyés sur des logiques scientifiquement reconnues. Les néo-institutionnalistes ajoutent que l’environnement d’une organisation est coercitif. C’est-à-dire qu’il tend à sanctionner les acteurs dont le comportement ne se soumet pas au système de règles institutionnelles en vigueur.

En résumé, l’approche sociologique de la théorie néo-institutionnelle appréhende les organisations comme des entités interconnectées, encastrées dans un contexte social et socialement construites par leur environnement. L’ensemble de ces éléments tend à expliquer les mouvements, en apparence, peu rationnels que constituent les phénomènes d’adoptions massifs.

Ils tempèrent à cet égard l’explication selon laquelle les managers adopteraient des outils en fonction de critères strictement « technico-économiques ». Leurs motivations semblent en effet plus exactement osciller entre considérations « technico-économiques » et « sociopsychologiques ».


Romain Zerbib, enseignant-chercheur en stratégie.

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