Elisabeth Badinter : « les femmes se retrouvent au cœur d’une triple contradiction »

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Elisabeth Badinter

Pour la philosophe Elisabeth Badinter, il existe un conflit entre la femme et la mère. À force d’entendre répéter qu’une mère doit tout à son enfant, son lait, son temps et son énergie, il est inévitable que de plus en plus de femmes reculent devant l’obstacle. Certaines trouvent leur plein épanouissement dans la maternité, mais la majorité d’entre elles feront un jour le calcul des plaisirs et des peines : d’un côté, une expérience irremplaçable, l’amour donné et rendu et l’importance de la transmission ; de l’autre, les frustrations et le stress quotidien, les inévitables conflits et parfois le sentiment de l’échec.

« Chaque culture est dominée par un modèle maternel idéal qui peut varier selon les époques. Qu’elles en soient conscientes ou non, il pèse sur toutes les femmes. On peut l’accepter ou le contourner, le négocier ou le rejeter, mais c’est toujours par rapport à lui qu’on se détermine en dernière instance.
Aujourd’hui, le modèle est plus exigeant que jamais. Davantage encore qu’il y a vingt ans où l’on remarquait déjà l’extension des devoirs maternels. […]

Comme par ailleurs, l’idéal féminin ne recouvre pas le modèle maternel et que l’épanouissement personnel est la motivation dominante de notre temps, les femmes se retrouvent au coeur d’une triple contradiction.

La première est sociale. Alors que les partisans de la famille traditionnelle blâment les mères qui travaillent, l’entreprise leur reproche leurs maternités répétées. […]

La seconde contradiction concerne le couple. On l’a vu, l’enfant n’est pas propice à la vie amoureuse. La fatigue, le manque de sommeil et d’intimité, les contraintes et les sacrifices qui imposent la présence d’un enfant peuvent avoir raison du couple. […]

La contradiction la plus douloureuse réside au sein de chaque femme qui ne se confond pas avec la mère. Toutes celles qui se sentent écartelées entre leur amour pour l’enfant et leurs désirs personnels. Entre l’individu égoïste et celle qui veut le bien-être de son petit. L’enfant conçu comme une source d’épanouissement peut donc se révéler un obstacle à celui-ci. »


Elisabeth Badinter, Le conflit, Flammarion, 2010.

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