Crise économique : l’effacement de la dette n’est pas le problème

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© Can Stock Photo / Boygointer

La mode est au « reset », à l’effacement. L’univers du « gaming » a envahi notre quotidien. Nous croyons que nous pouvons rejouer la partie, que nous pouvons échapper aux contraintes financières en balayant d’un clic des milliards et des milliards de dettes. Il est vrai que, dans le passé, de nombreux États, notamment la France, n’ont pas honoré tout ou partie de leurs dettes…

Au sein des pays de l’OCDE, en 2002, l’endettement public a progressé en moyenne de 20 points de PIB. Cette année, il continuera à augmenter à une vitesse moins importante, mais encore forte. L’idée d’un non-remboursement s’est engagée avant même la fin de la crise sanitaire. Le débat en France sur la dette publique est devenu chaotique, voire surréaliste. Certains demandent l’annulation de la « dette Covid » ou sa transformation en une dette perpétuelle, quand d’autres veulent la cantonner pour la séparer du reste de la dette publique. Quels sont les objectifs poursuivis par les tenants de ces propositions ? Le non-remboursement offre la possibilité de s’endetter encore plus, d’aller plus loin dans la monétisation afin de réduire les inégalités ou d’accélérer la transition énergétique. D’autres estiment que la dette enrichit les épargnants, les investisseurs. De ce fait, une annulation s’assimile à un acte de justice sociale. L’argument des taux d’intérêt négatifs qui pénaliseraient les épargnants a de peu de poids pour les partisans de cette thèse. Si certains prêtent, c’est qu’ils y trouvent intérêt même quand les taux d’intérêt sont négatifs. Cette volonté d’effacement masque une petite guerre des classes.

La BCE détient des titres du secteur public à hauteur de 25 % du PIB. Pour la France, ce ratio est de 20 % du PIB, soit un peu moins de 20 % de l’ensemble de la dette publique. Le bilan de la BCE comprenait fin 2020, pour plus de 3 000 milliards de titres publics, contre moins de 100 milliards d’euros en 2010. Les titres repris par la Banque centrale sont à « perpétuité coupon zéro ». Leur coût est nul, quel que soit le niveau des taux d’intérêt, car les profits des banques centrales sont rendus aux États. En cas de non-renouvellement à l’échéance, les États pourraient être cependant confrontés à un problème de solvabilité. L’expansion de la base monétaire qui est passée de 1 000 à 5 000 milliards d’euros lors de ces dix dernières années a contribué à la forte réduction des écarts de taux entre les pays d’Europe du Sud [Italie, Espagne, Portugal] et l’Allemagne. Ils sont passés de 5 points à un point de 2012 à 2020.

Compte tenu des niveaux d’endettement et de la situation économique, nul n’imagine pour le moment que, à court ou à moyen terme, la BCE réduise la taille de son bilan en ne renouvelant pas les titres publics.

Une annulation des dettes même limitée à celles détenues par la Banque centrale comporterait bien plus d’inconvénients que d’avantages

Une annulation des dettes déclencherait une crise financière. Les investisseurs réviseraient à la hausse leurs primes de risques par crainte de l’annulation des autres dettes. L’augmentation des taux d’intérêt frapperait en priorité les pays les plus endettés comme l’Italie ou la France. Face à une envolée des taux, la Banque centrale serait contrainte de reprendre ses programmes de rachats dans un contexte plus difficile. À la crise financière pourrait s’ajouter une crise politique entre les États membres, ceux du Nord refusant une monétisation sans fin des dettes. Les États ont encore besoin des investisseurs et des épargnants pour acquérir leurs obligations, la Banque centrale n’en acquérant que 30 à 50 % des titres publics. En 2021, l’État devrait, en France, émettre 260 milliards d’euros de titres, plus de 130 milliards d’euros seront ainsi conservés par des établissements financiers, des entreprises et des épargnants. S’ils venaient à faire défaut, les taux augmenteraient de manière exponentielle.

Le problème à résoudre n’est pas tant l’effacement, mais plutôt la sortie du processus de monétisation. Officiellement et jusqu’à nouvel ordre, les opérations de rachat doivent prendre fin au mois d’avril 2022. Cette échéance sera sans nul doute reportée au regard de l’acuité de l’épidémie en ce début d’année 2021 et des besoins de financement public tant sur le plan social qu’économique. Il n’en demeure pas moins que la fin des rachats sera très progressive et devra être parallèle à la réduction des déficits publics. La Commission de Bruxelles veille à ce que le non-respect des critères de Maastricht ne soit lié qu’à des mesures générées par l’épidémie. Les États ne peuvent pas, logiquement, financer des dépenses courantes et pérennes en utilisant la facilité de financement dérogatoire qui leur est accordé dans le cadre de cette crise. Les autorités européennes estiment que certaines dépenses engagées par le gouvernement français ne tomberont pas avec la fin de l’épidémie et qu’elles pèseront sur les budgets à venir sans avoir été financées par des économies ou des recettes nouvelles. La soutenabilité de la dette dépendra donc du retour de la croissance et de l’évolution des taux.

Dans son rapport annuel sur l’économie française, le FMI indique que la croissance française, à moyen terme, devrait rester inférieure à son niveau d’avant la crise, croissance qui avoisinait alors 1 %. Pour le FMI la situation financière des entreprises et le chômage élevé continueront à peser durablement sur l’activité. Le déficit public devrait s’élever à 7,7 % du PIB, contre plus de 10 % en 2020 plaçant la dette publique au-delà de 120 % du PIB. Dans ce contexte, l’organisation internationale demande au gouvernement à ne pas perdre de temps et à élaborer des plans pour réduire les dépenses dès que la reprise économique sera installée. La bataille des économies et celle de la croissance potentielle seront à mener en parallèle afin d’éviter une spirale d’endettement qui pourrait être mortifère. L’accroissement de la croissance potentielle suppose un redressement des gains de productivité et une amélioration sensible du taux d’emploi. Des marges de manœuvre existent, mais exigent un effort d’investissement et de formation ainsi qu’une volonté collective.

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