Comme les individus, les nations doivent trouver les moyens d’affronter des périls existentiels

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Crédits : Pexels – Pixabay

Le savoir est tellement compartimenté en disciplines étanches de nos jours, que les esprits réellement universels sont devenus bien rares. Et pourtant, les défis que nous avons à affronter sont tellement globaux qu’y faire face requerrait plus que jamais de tels généralistes. Trop souvent, leur place est occupée par de vulgaires idéologues. Leurs mantras donnent facilement l’illusion qu’ils ont réponse à tout, alors même que les fausses solutions qu’ils préconisent se révèlent soit irréalisables soit désastreuses. 

Jared Diamond fait partie de ces quelques esprits universels. Ornithologue, biologiste, ce darwinien est devenu professeur de géographie à l’UCLA, où il s’est spécialisé dans les études portant sur l’environnement. Mais c’est également un historien et un anthropologue. Bref, un homme de science capable de mobiliser toute sorte de compétences pour aborder, avec un regard renouvelé et expert, les grandes questions de notre temps. Tous ses grands livres, traduits en français, ont, de ce fait été des succès mondiaux. En particulier, son essai intitulé « Effondrement », sous-titré « Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie », qui montrait que l’impact sur l’environnement constituait un facteur décisif de survie.

Le Japon ou comment faire face aux nécessités d’adaptation en restant fidèle à soi-même

Le défi, tant pour les nations que pour les individus en crise, est de déterminer quelle part de leurs identités fonctionne déjà bien et ne nécessite pas de changement, et quelles parts ne fonctionnent plus et doivent être changées.

Or voilà que Jared Diamond revient avec un livre, établissant des parallèles entre ce qu’il sait de la psychologie de l’individu et le comportement des peuples, face à des défis existentiels. Son titre Upheaval (Bouleversement). Sous-titre : comment les nations font face aux crises et au changement. En fait, c’est un essai consacré à la résilience, utilisant l’étude d’une douzaine de cas concrets dans l’histoire récente. « Le défi, tant pour les nations que pour les individus en crise, écrit-il, est de déterminer quelle part de leurs identités fonctionne déjà bien et ne nécessite pas de changement, et quelles parts ne fonctionnent plus et doivent être changées. »

Exemples. Le terrible défi lancé aux Japonais, au milieu du XIX° siècle, lorsque des navires de guerre occidentaux sont venus exiger l’ouverture commerciale du pays. Les élites japonaises se sont alors divisées en trois courants. Certains refusaient tout accommodement avec l’Occident et prônaient une fermeture étanche du pays face à la culture et à la science des « barbares ». Les responsables militaires, conscients de l’infériorité technique de l’armée, prônaient une ouverture et une adaptation limitée, notamment dans le domaine des armements. 

Ceux qui l’emportèrent prônaient une réforme radicale du pays, le Meiji. Notamment les samouraïs, qui formaient déjà à l’époque une bureaucratie capable d’encadrer la modernisation de la société. Sous leur influence, le pays allait devenir le plus puissant d’Asie, dès le début du siècle suivant. Ils n’étaient pas moins nationalistes que les partisans de la fermeture sur soi des îles du Soleil levant. Mais ils voulaient renforcer leur pays, afin de le mettre sur un pied d’égalité avec l’Occident. Leur triomphe devint éclatant lorsqu’ils vainquirent l’armée russe en 1904-1905. La défaite survint lorsqu’ils défièrent les Etats-Unis en 1941.

La « finlandisation » ou l’art de ménager de puissants voisins

Autre cas d’école : la Finlande. Suite au Pacte germano-soviétique, l’Armée rouge attaqua ce pays le 30 novembre 1939. Quarante-sept fois plus peuplée que la Finlande et combattant à quatre contre un, la supériorité des Soviétiques était écrasante. Mais habitués à combattre par grand froid, et habités d’un esprit de résistance patriotique bien supérieur à celui de leurs envahisseurs (leur fameux « sisu »), les Finlandais infligèrent de telles pertes à l’envahisseur que Staline préféra négocier, se contentant de l’annexion du dixième du territoire. Les Finlandais, de leur côté, avaient perdu 100 000 hommes, soit 5 % de la population masculine, tous âges confondus.

Pour Jared Diamond, c’est l’origine de la fameuse « finlandisation » qu’on a tellement reprochée à ce pays, durant la Guerre froide. Mais en acceptant de s’autocensurer, de limiter l’exercice de leur démocratie de manière à ne pas chatouiller les voisins soviétiques, les Finlandais ont préservé leur indépendance. Tout Etat, rappelle Jared Diamond doit s’incliner devant ce qui apparaît historiquement inévitable. 

La grande différence entre les cas du Japon et de la Finlande, c’est que le premier constituait et persiste à former une nation ethniquement homogène, tandis que la Finlande, longtemps vassalisée par la Suède, était historiquement divisée entre Suédois ethniques, et Finlandais ethniques. Les Suédois avaient longtemps formé les classes supérieures. Le général Mannerheim, qui dirigeait l’armée finlandaise en 39/40, était lui-même, ethniquement, un Suédois. Mais le pays a su surmonter cette division et forger, lors d’une épreuve mettant en péril son existence même, une unité nationale inébranlable. Malgré ou à cause de l’épouvantable guerre civile subie par le pays en 1918.

Quelques règles à suivre

Pour Jared Diamond, pour faire face aux bouleversements, individus comme nations doivent respecter plusieurs règles : assumer ses propres responsabilités – et ne pas s’en décharger sur des boucs émissaires ; s’estimer soi-même, ainsi que sa situation sans complaisance et avec lucidité ; accepter d’apprendre de l’expérience des autres avec humilité ; conserver grande une capacité de compromis. Celle-ci, prévient-il, peut exiger parfois d’avaler des couleuvres…

Crédits : France Culture 

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