Confinement : la rigueur militaire, une attitude pour l’avenir ? (1/2)

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© Can Stock Photo / PaladinSoCal

« Lorsque j’étais sous-marinier j’ai parcouru plus de 50 000 nautiques, soit l’équivalent de plus de deux fois le tour de la terre confiné pendant des mois dans un monstre d’acier. Même si cela peut paraître contre nature, on peut y faire face ». Fin mars sur LinkedIn, Christophe Deldique, ex-officier missilier embarqué dans des sous-marins nucléaires entre 1992 et 2002, a posté un texte promulguant des conseils afin de tenir durant le confinement. Nous nous sommes entretenus cet homme plein de sagesse qui consacre désormais son temps à l’association « Un enfant un avenir » — dont il est le Vice-Président.

C’est d’une voix douce et posée qu’il décroche le téléphone. Christophe Deldique, basé à Brest, vient de prendre sa retraite. Ancien sous-marinier, il partait régulièrement en mission de huit semaines sans pouvoir communiquer avec l’extérieur. Dans sa cabine de 2m2, c’est dans un confinement extrême qu’il a appris à s’adapter, tout en restant opérationnel. Après avoir œuvré à 200 mètres sous la mer durant des mois, parcouru le monde, vécu des expériences qui font écho à l’esprit de résilience dont nous devons tous faire preuve actuellement, il s’est alors permis de publier un modus operandi afin de trouver les ressources nécessaires pour vivre l’enfermement de la meilleure des façons. Des questions qui lui ont été posées par ses enfants, par des amis proches, aujourd’hui curieux de savoir comment il a tenu en profondeur…

Le programme tenait en cinq points :

1 — Organiser son emploi du temps sur cinq jours maximum

Il est essentiel de conserver la perception du temps en rythmant sa journée dans les moindres détails. Prévoir un temps pour le travail, la lecture, pour le sport, un bon film, un bon repas… L’objectif est d’avoir la perception que le temps passe normalement. Les managers ont ici un rôle social très important à jouer envers leurs collaborateurs ou subordonnés, notamment dans la gestion du télétravail.

2 – Prendre soin de soi pour rester en forme

Il faut faire sa toilette comme d’habitude, bien s’habiller, ne pas boire en excès, ne pas manger en excès… Il est important de faire du sport de manière régulière comme de la gymnastique jusqu’à ressentir la fatigue surtout dans les moments de déprime. Il peut être judicieux de réaménager son espace avec une zone dédiée au travail, une autre à la vie commune, au sport, etc.

3 — Rester en contact régulier avec vos proches ou vos amis

Il est essentiel de conserver le lien social malgré le confinement. Utiliser les réseaux sociaux, le téléphone, la vidéo transmission pour discuter, débattre, échanger, rester informé…

4 – Accepter la situation et rester positif

Il est important d’accepter la situation en restant positif pour préparer l’après-pandémie. Il est impératif en effet d’être convaincu de l’importance du confinement pour sauver des vies.

5 — Préparer des repas de très grande qualité pour garder le moral

Il est important de bien manger. Surveiller les calories et absorber des aliments qui ont un bon goût. Manger ce que l’on aime sans prendre trop de sucre ou de sel est essentiel pour le moral.

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Christophe Deldique

Le gouvernement a annoncé une sortie progressive du confinement à partir du 11 mai 2020. Emmanuel Macron a toutefois indiqué lors de sa dernière allocution que l’exécutif demanderait aux « personnes les plus vulnérables » de rester confinées après cette date. À ces personnes, quel message souhaitez-vous leur adresser ?

Christophe Deldique : À la différence de la plupart des Français qui subissent pour la première fois cette situation inédite, j’étais volontaire pour rester enfermé pendant plusieurs mois. J’avais conscience de ce que je vivais, même si cela était difficile. L’annonce officielle de la date du 11 mai pour la fin du confinement était psychologiquement nécessaire. Cela a donné une lueur d’espoir, car on entrevoit la fin de cette période. Il est évident que le déconfinement se fera progressivement. Le retour à la vie normale dépendra de nombreux facteurs. Paradoxalement, cette lueur d’espoir va petit à petit se mélanger à des sentiments diffus d’anxiété. Et on va finir par penser que le confinement avait l’avantage de nous mettre en sécurité. Les catégories de personnes qui seront prolongées auront certainement des périodes de déprime. Cela est tout à fait normal, car le confinement est contre nature. Pour ces personnes, il est vraiment impératif d’être convaincu du bien-fondé sanitaire de ces mesures de confinement et que cela sauvera des vies. L’acceptation plutôt que la résignation aidera beaucoup les personnes à tenir dans la durée. Cela sera de toute façon provisoire. Si la déprime s’installe malgré tout, il est impératif d’appeler à l’aide sa famille, ses amis ou les plateformes d’écoute pour discuter et échanger sur le ressenti. Il faut vivre dans le moment présent le plus possible. De proche en proche le temps s’écoule plus vite. Nos enfants le font instinctivement. « La puissance militaire remporte des batailles, la force morale remporte les guerres », disait George Marshall. Si le confinement est amené à perdurer, si cela devait se produire de nouveau, quels conseils supplémentaires pourriez-vous indiquer aux Français ? Comment anticiper moralement et physiquement ?

Christophe Deldique : Au-delà des conseils précités qui sont applicables en toutes circonstances, il est important de préparer le lendemain pour affronter les futurs écueils imprévisibles que la vie nous réserve. Il faut se convaincre que la réalité peut dépasser la fiction. La société occidentale nous a appris l’efficacité, la performance, la perfection nous imposant des habitudes et nous obligeant à penser selon un schéma mental normé. Cet environnement de certitudes nous a mis dans une zone de confort que l’on croyait invulnérable, nous poussant ainsi à ignorer les changements, par peur. La première réaction face à une catastrophe est de ne pas reconnaître la réalité, d’être dans un déni volontaire et artificiellement confortable. Il donne de la légitimité à trouver la cause des maux. Or l’important en temps de crise est de ne pas sombrer dans la recherche des coupables, mais au contraire de trouver sans perdre de temps des solutions à un problème. Pour se préparer aux futures pandémies et donc à de nouveaux confinements, il est essentiel que chacun fasse le point sur soi et son environnement. Il faut repartir ses objectifs individuellement et collectivement, refonder ses repères et s’efforcer de tirer des enseignements avec honnêteté et humilité. Il faudra par exemple repenser l’organisation de la société en termes d’autonomie et de résilience des territoires, notamment alimentaire. À l’image un sous-marin où la résilience alimentaire permet de tenir 90 jours en confinement total. Apprendre à ne pas nier la réalité, être dans l’acceptation plutôt que dans la soumission est salvateur. Se convaincre que l’incertitude existe réellement ou que l’humanité est fragile est fondamental. Savoir remettre en cause ses certitudes ou son ego, c’est savoir se préparer à de nouvelles incertitudes avec cette fois-ci un mental apte à affronter, dans la durée, l’imprévisible.

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