Conseils, maîtres et gourous

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© Can Stock Photo / Forgiss

Nous craignons le spectre de l’emprise et la présence dans nos vies d’un « gourou », au sens péjoratif, qui va prendre le contrôle de notre vie à notre insu et nous priver de notre liberté. Pourtant, notre premier mouvement quand nous rencontrons un professionnel est de lui demander une solution toute faite.

Un de mes clients, au tout début de notre travail d’accompagnement, m’avait demandé :

« Est-ce qu’on pourrait prendre un rendez-vous de 3 ou 4 heures ?
— Pourquoi faire lui demandai-je ?
— Comme ça, vous sauriez tout et vous pourriez me dire, me répondit-il.
 »

Ce qui se dessine ici, c’est le désir, d’ailleurs bien compréhensible, de se débarrasser de son problème en le laissant entre les mains d’un « expert » (considéré comme tel) pour ne plus avoir à en souffrir ; tout comme on confie son robinet à son plombier, sa voiture à son garagiste.

À l’époque où j’avais mon entreprise d’informatique, j’ai détecté que le risque de rater un projet était maximum quand, pareillement, le client « me donnait les clés du camion ». C’est-à-dire quand il me confiait totalement la réalisation du projet sans s’engager lui-même, avec bien entendu toutes sortes de bonnes raisons : incompétence (présumée) de sa part ; manque de temps ; souci de ne pas perturber le processus ; excès de confiance en moi. Le résultat est que je naviguais alors tout à fait en aveugle. Il m’a fallu du temps néanmoins pour en prendre conscience. Au début, j’étais tout à fait flatté de cette confiance et trouvais confortable de pouvoir conduire les choses à ma guise ; tout comme j’ai été tout à fait surpris du tour que prenait notre relation après les premières déceptions, ce moment où le client découvre tout le travail accompli, le découvre différent de ce qu’il avait malgré tout imaginé et en conçoit parfois de la colère, comme une trahison.

Dès cette époque, j’ai ainsi appris qu’il était vital pour moi d’impliquer le client dans le processus.

Car même dans le cas où la production semblait convenir au client, dans le scénario le plus favorable, alors j’ai observé très souvent une difficulté à se saisir du logiciel produit pour l’exploiter, le déployer. Comme s’il s’était agi d’un objet étrange tombé du ciel dans son jardin.

Ce qui est vrai pour l’informatique l’est aussi pour d’autres domaines. C’est ainsi qu’un conseil en stratégie à qui une entreprise s’en remet pour définir son avenir produira avec une grande probabilité un objet dont la communauté de l’organisation ne se saisira qu’avec grande difficulté, voire qu’elle ne saisira pas du tout en le rangeant dans un tiroir.

C’est pourquoi, je crois au principe de coresponsabilité, pour une collaboration qui soit dans le dialogue et non dans l’attente aveugle et forcément décevante d’un quelque chose qui se trame dans le secret d’un atelier. Et je m’efforce de l’appliquer en tant que client, y compris d’ailleurs avec mon garagiste ou mon plombier.

Nous décrivons ici une mécanique d’abandon du client avec une déception au moment de la clôture. Tant que celle-ci n’a pas eu lieu, tout va bien ; après elle, rien ne va plus. J’observe ainsi que les phénomènes d’emprise que j’évoquais au début de cet article et que nous craignons tant, se nourrissent de cette tendance à nous en remettre totalement à autrui et évitent la déception en repoussant sans cesse la fin de l’expérience.

Ce sont des phénomènes évidemment extrêmement problématiques dans mon métier d’accompagnement dans son cheminement personnel ; ils ne se cantonnent cependant pas dans ce domaine. J’ai pu voir, toujours dans le secteur de l’informatique, des prestataires peu scrupuleux conduire leurs clients très loin dans des dépenses importantes, ceci étant corrélé avec une livraison toujours corrélée.

C’est ainsi que la capacité de dire stop à tout moment est un élément clé de la relation professionnelle.

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