Crise de la Covid-19 : vers la fin de l’uniformisation du monde ?

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Stephan Zweig

La question de l’américanisation du monde et de la diffusion des cultures de masse interrogeait déjà les intellectuels européens il y a un siècle. C’est ce que permet de mesurer un article de Stefan Zweig, paru en 1925 dans le Berliner Börsen-Courier, et que vient de rééditer les éditions Allia.

Le phénomène de la mondialisation culturelle avait progressé avant le COVID-19. Qu’en sera-t-il de cette uniformisation du monde à l’issue de cette crise sanitaire ? Les éditions Allia viennent de publier un microlivre (47 pages, dans une édition bilingue franco-allemand). Il s’agit en réalité d’un article paru il y a presque cent ans. Mais il est forcément intéressant puisqu’il est signé Stefan Zweig. TitréL’uniformisation du monde, il a été publié dans le Berliner Börsen-Courier, en 1925. On y trouve l’écho des inquiétudes que partageaient nombre d’intellectuels européens de l’entre-deux-guerres, en particulier du côté conservateur : les cultures nationales européennes, autrefois si particulières, sont en train d’être éradiquées par une vague venue des Etats-Unis, s’inquiétait le grand écrivain autrichien.

Cultures nationales européennes élitistes versus cultures de masse américaines

Portée par les nouveaux moyens de communication qu’étaient, à l’époque, la radio, et le cinéma, cette vague apporte, écrivait-il, des productions de mauvaise qualité. Comme elles exigent peu d’effort intellectuel, elles plaisent aux masses. Elles évoluent à une vitesse stupéfiante, portée par la logique des modes, aussitôt remplacées par de nouvelles. Et Zweig de déplorer, comme Ortega y Gasset à la même époque, que le mauvais goût des masses contraigne l’élite du bon goût et de la culture à une forme de résistance culturelle par abstention volontaire, le retrait, le refus de participer.

Il faut se souvenir que parmi les créateurs et intellectuels juifs contraints d’émigrer aux Etats-Unis, à l’époque nazie, certains se sont aisément intégrés à la culture américaine, si différente de la leur : chez les cinéastes, on pense à Joseph Mankiewicz, Otto Preminger, Billy Wilder. Le délicieux compositeur autrichien Erich Wolfgang Korngold, postromantique, se reconvertit aisément dans la musique de film. Même certains compositeurs d’avant-garde, tels Hanns Eisler ou Kurt Weill, ont connu le succès aux Etats-Unis en s’adaptant au goût de masse américain ; le premier à Hollywood, le second à Broadway.

Mais Theodor Adorno, théoricien de l’avant-garde musicale viennoise, exilé à Los Angeles, demeurait, lui, résolument hostile à une culture de masse mondialisée, qu’il analysait comme une forme d’aliénation et d’abêtissement par les industries du divertissement. Même son de cloche chez Zweig : « L’ennui américain, écrit-il, est instable, nerveux, agressif ; on s’y surmène dans une excitation fiévreuse et on cherche à s’étourdir dans le sport et les sensations. »

Ce que fait le Covid au village global

Mais voilà qu’à un siècle de distance, ces questions sont redevenues d’actualité. La pandémie, qui dure depuis un an maintenant, est en train de provoquer une fermeture des nations sur elles-mêmes, y compris dans notre Europe, pourtant supposée en cours d’intégration. Certains économistes prédisaient, depuis plusieurs années déjà, un recul de la mondialisation commerciale, sous le coup des tensions internationales. Qu’en sera-t-il de la globalisation culturelle lorsque nous serons enfin sortis de cette crise sanitaire ? On le voit, les questions posées par Stefan Zweig méritent d’être réexaminées.


Crédits : France Culture

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