Et si les médias sollicitaient enfin le penchant qui nous tire vers le haut ?

« On entend l’arbre qui tombe, pas la forêt qui pousse » répondent d’une pirouette fataliste les experts en communication interrogés sur la manière dont les médias, au prétexte que « les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne », ont pris l’habitude de nous présenter le monde et son actualité : sous leur jour le plus sombre.

Un effet de loupe ayant conduit, avec le temps, à partager du monde une vision sinistre et, surtout, définitivementfausse. Mais ce n’est pas tout, cette (sur) charge quotidienne d’informations négatives à laquelle nous sommes soumis dépassant notre capacité d’empathie, elle génère chez nombre d’entre nous un effet « Nocebo » induisant, à la longue, angoisses, insomnies, dépressions… Alors, pourquoi tant de haine à la une ? Et puis, la chose ayant tout de même son importance, à quoi ressemble-t-ilvraiment, ce monde dans lequel nous vivons, et dont on ne nous montre que la face obscure ?

Positif !

Par chance, un phénomène de « résilience collective » chère au psychologue spécialiste des médias Serge Tisseron est précisément à l’œuvre dans notre pays, conduisant un nombre croissant d’individus à se détourner de la manne mortifère servie par le JT pour s’intéresser au monde réel. Tandis que les médias dits « de solution » ou « positifs » se multiplient, des voix s’élèvent pour clamer que «Le monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez* » (pour ne citer que le dernier opus paru). Depuis quelques années en effet, économistes, experts et penseurs se dressent tour à tour pour faire connaître au moyen de plaidoyers chiffrés un bilan sans appel : quoi qu’on nous raconte, l’humanité progresse : sensiblement, universellement, constamment !

Les chiffres en question ? En voici une petite sélection : 65 % d’homicides en moins sur terre en 20 ans, 4 fois moins d’enfants travailleurs qu’il y a 15 ans, 4 fois moins de gens très pauvres qu’il y a 30 ans, un nombre de victimes de guerre, de violences faites aux femmes, de répressions de l’homosexualité et de pays pratiquant la peine de mort en baisse constante tandis que santé, liberté, tolérance et éducation sont en progrès constant, même en terre d’islam et même chez les filles !

Dr Jekyll & Mr Hyde

Alors, pourquoi ne jamais en parler ?… Alors même que 64 % des Français réclament depuis des années aux médias de «faire davantage de place à des informations positives» (Harris interactive, 2015), on a au contraire vu, au fil des deux dernières décennies, la part prise au JT par les faits divers étalant «le pire de l’humain » passer de 5 à 20 %. La faute aux médias donc ?… Avant de jeter la première pierre et s’agissant finalement de la représentation qui est donnée de la nature humaine, c’est d’abord sur celle-ci qu’il convient de porter le regard.

«On rencontre une sorte de schizophrénie entre les aspirations du public pour des nouvelles positives et le fait qu’il aille vers le spectaculaire ou le sinistre,analyse Serge Tisseron. Mort et sexe, Eros et Thanatos sont les deux grands mystères qui fascinent l’homme depuis toujours : on est tous des Dr Jekyll et M Hyde passant d’un penchant à l’autre.Le problème des médias n’est pas celui du dosage entre informations positives et négatives, mais leur incapacité à illustrer comment ces deux aspects coexistent en tout. Plutôt que de montrer cette bombe qui explose inlassablement sur nos écrans parce que l’image en est plus spectaculaire, montreraussil’autre visage de la même réalité : ces hôpitaux où l’on soigne et s’entraide, par exemple. C’est parce qu’existent en nous les deux penchants qu’il est si important de solliciter celui qui nous tire vers le haut ! » Ce que font précisément les nouveaux médias dits « positifs ».

Intérêt ou calcul ?

Quant aux autres, «vous assurant pour se justifier qu’ils ne font que répondre à la demande du public, expliqueDominique Wolton, spécialiste des médias au CNRS, ils basculent vite du travail journalistique au voyeurisme. Par intérêt ou par calcul, sachant que l’on rencontre d’évidence également un problème de formation des journalistes, une formation aujourd’hui muselée par le carcan d’une tradition archaïque ».

«Il est malheureusement plus facile d’évoquer un problème que de chercher ses solutions, résume François Siegel, fondateur du magazine We Demain. Les journalistes ne sont d’ailleurs aucunement formés à cela ». «Toute une tradition du journalisme associe information et drames, renchérit Christian de Boisredon, inventeur du “Libé des solutions” et pionnier de la presse positive.Le fameux “J’accuse !” de Zola comme le “Il faut porter la plume dans la plaie” d’Albert Londres demeurent autant de saints commandements dans nos écoles de journalisme ». Des commandements qu’une partie au moins des jeunes journalistes formés dans notre pays n’est plus prête à suivre…

* Jacques Lecomte, éditions Les arènes.

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