Gagner du temps pour en perdre

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© Can Stock Photo / stokkete

L’époque – et ce n’est pas tout à fait nouveau – est à l’optimisation des processus, le gain de temps et de productivité, l’automatisation, la chasse au temps perdu.

L’argument majeur de cette course au temps – puisqu’il s’agit toujours d’économiser du temps, que ce soit du temps machine ou du temps de main d’œuvre – et qu’elle est nécessaire pour faire face à la concurrence. Si je néglige de le faire, alors je vais me faire distancer ; je ne serai plus compétitif, plus dans la course, hors circuit.

Ce « je » vaut d’ailleurs pour l’entreprise et pour moi-même : mon entreprise dans la course mondiale, moi-même dans la compétition individuelle des talents.

C’est pourquoi je dois gagner du temps, en apprenant à le gérer, en ayant recours aux technologies qui me permettent d’aller plus vite et plus efficacement.

Le prix du temps

Il se pourrait bien cependant que le bénéfice de temps obtenu ait une contrepartie, disons-le tout net, un coût.

Il y a certes un premier coût évident, l’investissement nécessaire. Un investissement en formation, en développement informatique ou en machines, en organisation voire en recrutement pour doter l’entreprise des talents qualifiés pour prendre en charge la nouvelle organisation ou les nouveaux équipements.

Le deuxième coût est plus caché. Il réside d’ailleurs davantage dans un risque que dans un montant à régler. Il est celui de la complexité et de la perte de résilience.

Complexité : les flux tendus nécessitent une gestion et un suivi fins des activités et donc des logiciels de plus en plus complexes, qu’il faut maintenir, faire évoluer. Qu’il s’agisse, à nouveau, de logiciel de production pour l’entreprise ou de logiciels de productivité pour l’individu. La place prise par nos smartphones dans nos vies est une bonne illustration du phénomène. Le temps gagné est consommé sur les équipements qui sont censés nous libérer.

Perte de résilience : la moindre panne vient perturber l’ensemble menaçant jusqu’à l’équilibre financier des investissements consentis.

La manifestation la plus criante du phénomène est le réchauffement climatique : nous avons industrialisé nos activités pour avoir plus de confort, plus de sécurité mais aussi, espérions-nous, plus de liberté et moins de contraintes. Le résultat est une fragilisation de notre environnement qui nous expose à des difficultés importantes.

De même, à titre personnel, le remplissage « optimisé », pour ne pas dire à outrance, de notre agenda personnel, met en péril notre écologie personnelle. Les cas de burn-out, j’en reçois certains, sont là pour en témoigner.

Cultiver l’antifragilité

La tentation est de rendre plus « solide », soi-même ou son organisation. C’est encore du « toujours plus ». La stratégie du chêne plutôt que celle du roseau.

La clé réside sans doute dans ce que Nassim Nicholas Taleb appelle l’antifragilité, à savoir la disposition de l’organisme à se renforcer des chocs éprouvés : une tasse de thé qui reçoit un choc se casse : fragilité ; une jambe cassée se ressoude avec un cal de façon plus solide : antifragilité. Cultiver l’antifragile implique de prendre une direction presque opposée à celle de l’optimisation : mettre de l’irrégularité, du vide, de l’inutile (mais pas que !)

Très inspirante pour moi était la philosophie managériale d’un patron dans la finance dans les années 2000 qui gérait des flux très importants. Il avait coutume de donner les mêmes missions à plusieurs équipes avec des consignes et des informations différentes. Redondance et incohérence. Tout le contraire de l’optimisation. Il trouvait préférable de renoncer à certains petits gains pour s’épargner certains risques majeurs. Mettre des grains de sable pour éviter d’aller dans les décors avec fluidité.

Laurent Quivogne – http://www.lqc.fr/

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