Hans Jonas : « l’urgence suprême de la collectivité »

Dans un article de 1969, le philosophe allemand Hans Jonas livre une réflexion sur le contrat social. Qu’advient-il de ce dernier en temps de guerre ou autres situations semblables ?

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« En temps de guerre, notre société elle-même rompt le bel équilibre du contrat social [fondé sur la primauté de l’individu] en accordant une préséance quasi absolue aux besoins publics sur les droits individuels. Dans cette urgence, comme dans d’autres semblables, le caractère sacro-saint de la personne est aboli et, à toutes fins pratiques, on laisse temporairement prévaloir ce qui équivaut à une situation quasi totalitaire, quasi communiste.

En pareilles situations, on accorde à la communauté le droit de faire appel à ses membres, d’une manière et dans une mesure tout à fait différentes de ce qu’on lui permet normalement. On trouve qu’il est juste, pour une partie de la population, d’assumer des risques dont la gravité est disproportionnée ; et l’on trouve qu’il est juste, pour le reste de la communauté, d’assumer ce sacrifice, qu’il soit volontaire ou imposé, et on en recueille les bienfaits – alors que nous avons peine à justifier cette acceptation et ces bienfaits, en nous basant sur des critères normaux d’éthique. Nous le justifions d’une façon « transéthique », en quelque sorte, par l’urgence suprême de la collectivité, officialisée par exemple par l’état de guerre. »


Hans Jonas, Essais philosophiques. Du credo ancien à l’homme l’homme technologique, 1969, Paris, Vrin, 2013, p. 158.

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