Le capitalisme et ses deux déclinaisons rivales

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© Can Stock Photo / mcgill

Selon Branko Milanovic, le capitalisme connaît deux déclinaisons rivales — celle des Etats-Unis et de l’Europe, d’un côté, celle de la Chine et de la Russie de l’autre. Dans un ouvrage à paraître ce mois-ci en France, l’économiste américain passe en revue leurs avantages et inconvénients respectifs.

Je vous présente souvent, dans mes chroniques, des essais qui ne sont pas encore traduits. Un livre, paru en anglais, sort la semaine prochaine, en français, aux éditions de La Découverte. Son titre, Le capitalisme sans rival — en anglais, Capitalism Alone. J’ai déjà fait allusion aux travaux de son auteur, l’économiste serbo-américain Branko Milanovic, qui est l’inventeur de la fameuse « courbe de l’éléphant ». Un modèle statistique par lequel il a rendu compte de l’évolution des revenus mondiaux, entre la chute de l’URSS et la crise de 2008. Elle démontrait, cette courbe, que les deux grands gagnants de cette période étaient les classes moyennes des émergents, en particulier de la Chine, ainsi que les 1 % les plus riches de la planète. Les classes moyennes des pays développés, par contre, avaient vu leurs revenus stagner ou régresser. 

Ainsi était démontrée une réalité que tout le monde pressentait : la mondialisation a profité aux pays disposant d’une main-d’œuvre abondante, productive et relativement moins bien payée que celle des pays riches, ainsi qu’à la super élite très demandée : « the winner takes all ». Si elle a profité aux classes moyennes des pays riches, c’est à travers la baisse des prix.

Les deux églises rivales du capitalisme

On attendait la suite et la voilà. Dans Le capitalisme sans rival, Milanovic fait le constat trivial suivant : le capitalisme est désormais seul en piste. Le communisme a eu son utilité : pour doper la croissance dans les pays faiblement développés et anciennement colonisés. Il a ainsi obtenu un relatif succès dans des pays comme la Yougoslavie, la Bulgarie et surtout la Chine… Mais il fut un échec pour la Tchécoslovaquie ou la Hongrie. Mais si le capitalisme règne donc sur la quasi-totalité de la planète, il connaît des variantes. Comme les religions universelles, relève Milanovic, les systèmes socio-économiques connaissent d’inévitables schismes. Et les divergences d’interprétation donnent lieu à l’institution de sectes rivales. Il en va de même du capitalisme.

Il apparaît, aujourd’hui, partagé en gros entre deux églises : celle de l’Amérique et de l’Europe, d’un côté, celle de la Chine, de la Russie et de quelques autres pays généralement sortis du communisme, de l’autre. Milanovic baptise le premier modèle « libéral méritocratique » et le second « capitalisme politique ». Chacun a ses vertus, chacun a ses talons d’Achille.

Capitalisme libéral-méritocratique versus capitalisme politique

Dans la version libérale et méritocratique, les carrières sont en principe ouvertes à tous et l’enrichissement dépend des opportunités et du mérite individuel. L’Etat de droit garantit la possession du capital. Il assure également un certain niveau de redistribution des richesses et pourvoit à des fonctions sociales essentielles, comme l’enseignement. Il implique nécessairement un système politique démocratique. Celui-ci permet de vérifier que l’action du gouvernement coïncide avec les souhaits de la majorité. Le problème principal que rencontre ce système, c’est l’aggravation des inégalités de revenus et l’endogamie croissante de la classe supérieure. 

Le capitalisme politique, dont l’archétype se trouve en Chine, succède généralement à un modèle communiste ayant atteint ses limites de possibilité. Mais il en hérite un besoin de souveraineté nationale sourcilleux et une méfiance envers le capital étranger. 

Le pouvoir politique y est détenu par une bureaucratie d’Etat réputée compétente, mais recrutée sur la base de sa fidélité envers le Parti dirigeant. L’Etat de droit n’y est pas respecté : le pouvoir politique décide arbitrairement de la politique économique en fonction de ce qu’il estime être l’intérêt national – qui se confond souvent avec celui de la caste politico-administrative au pouvoir. C’est un système qui nécessite, pour se maintenir, un fort taux de croissance. Mais il s’accompagne nécessairement d’un niveau élevé de corruption. Il provoque, en effet, la création d’une élite sociale « politico-capitaliste ». 

Quand le capital circule librement, les travailleurs en sont empêchés par les frontières

Dans Le capitalisme sans rival, Milanovic reprend ses analyses sur les interactions entre capitalisme et mondialisation. Le capital est devenu liquide : il circule presque sans contrainte. Il a permis la création des « chaînes de valeur » éparpillées à travers la planète en fonction des opportunités. Le travail, par contre, est relativement contraint par la géographie. Et les travailleurs des pays en développement sont relativement mal payés par rapport à ceux des pays riches qui bénéficient ainsi, selon Milanovic d’une « prime de citoyenneté ». C’est cette disparité qui motive les migrations. 

Milanovic conseille de favoriser ces migrations. Mais comme elles provoquent des tensions culturelles avec les populations historiques, il préconise une forme de citoyenneté partielle, n’ouvrant pas tous les droits politiques et sociaux réservés aux citoyens de plein exercice.

Enfin, il s’inquiète de la tendance profondément amorale d’un système qui, dans ses deux versions, repose sur l’appât du gain et provoque l’éclatement des institutions sociales traditionnelles sous l’effet des forces du marché.


Crédits : France Culture

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