« L’efficacité du management repose sur des dimensions archaïques, universelles et pragmatiques »

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Norbert Alter

La coopération est nécessaire au bon fonctionnement des entreprises, mais ne repose que sur la « bonne volonté » des opérateurs. La coopération ne s’explique en effet ni par l’intérêt économique, ni par la contrainte des procédures, ni par les normes de métier. Elle repose largement sur la seule volonté de donner. C’est la leçon que tire le sociologue Norbert Alter, qui s’inspire des thèses de l’anthropologue Marcel Mauss.

« On donne « aux autres » autant qu' »à l’autre ». Autant qu’à l’autre opérateur, on donne au projet, à la compétence collective, au métier, à l’entreprise, à tous ceux qui permettent de donner sens et efficacité au travail. Managers et opérateurs savent très bien tout cela parce qu’ils le ressentent ! Ils ne savent pas toujours l’expliquer, mais ils l’éprouvent – comme on éprouve une grande satisfaction à voir celui auquel on a tenu la porte la tenir à son tour.

Ainsi l’entreprise ne peut-elle pas se passer des échanges sociaux : ils représentent un don que les opérateurs lui font ; ce don est précieux et il fédère les individus. Mais elle ne peut pas pour autant accepter que cette logique régisse les relations parce que ce type de fonctionnement va à l’encontre de l’idée même de management et de rationalisation du travail. La solution retenue par l’entreprise, c’est alors d’accepter ces « cadeaux » mais sans célébrer leur réception, de les prendre sans reconnaître explicitement leur valeur et, surtout, de transformer ces manifestations de liberté en obligations. […] Les entreprises refusent de célébrer le don de leurs salariés ; au lieu de recevoir ce cadeau, elles préfèrent le prendre ou acheter la valeur qu’il représente ; au lieu de considérer ce geste comme une ressource, elles en font un problème. Elles interdisent finalement de donner, au profit d’échanges équilibrés et prévisibles.

Ce paradoxe me paraît s’expliquer fondamentalement par le fait que les théories qui fondent le management se veulent « modernes », alors que l’efficacité du management repose sur des dimensions archaïques, universelles et pragmatiques. »


Norbert Alter, Donner et prendre : La coopération en entreprise, La découverte, 2009.

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