Les dangers de la bienveillance

Quoi ?! La bienveillance, dangereuse ? Une blague, n’est-ce pas, alors que, au CJD notamment, nous la cultivons, l’encourageons, certains de ses bienfaits, certains du chemin ouvert vers des entreprises meilleures à vivre, plus performantes ?!

Je ne vais pas dire le contraire ; je m’intéresse cependant ici comment le souci de davantage de bienveillance peut avoir des effets contraires à ceux escomptés. J’ai déjà écrit l’an passé dans ces colonnes une « petite critique de la bienveillance » [1]. Faisons un pas de plus.

C’est une chose que de vouloir davantage de bienveillance dans son entreprise, et même de l’encourager, c’en est une autre de vouloir l’imposer, si peu que ce soit. Or, le dirigeant peut minimiser le poids de son autorité et, quand il croit motiver, les collaborateurs peuvent croire qu’il ordonne. Les mots à cet égard ont une importance. Quand j’entends « il faut être bienveillant », même entre collègues, même dit gentiment, je sais qu’il y a là un début de pression.

En quoi est-ce gênant ?

Je ne veux certes pas dire qu’il faut traiter les autres – qu’ils soient nos collaborateurs, nos supérieurs ou nos égaux – avec des pincettes et éviter absolument de les bousculer. L’enjeu que je défends n’est pas dans l’excès de précaution.

L’enjeu est de savoir si la bienveillance manifestée par ceux que nous avons encouragés, est une bienveillance jouée ou une bienveillance réelle. Autrement dit, est-ce que le sentiment est intériorisé ou plaqué sur le comportement afin de simplement s’adapter à son environnement ?

En réalité, être bienveillant ne va pas de soi, ce qui vaut pour nous-mêmes également. Cela signifie :

– Avoir suffisamment de sécurité intérieure pour ne pas se sentir menacé dans la relation ;

– Être capable de se « purger » des ressentiments en osant dire et en osant entendre : manifester de la bienveillance ne signifie pas éviter tout conflit.

Or ces deux points ne vont pas de soi et sont souvent le fruit d’un long travail, que vous ne pouvez exiger d’autrui dans l’instant.

Précisons encore qu’une bienveillance jouée n’est pas nécessairement une bienveillance feinte. Les personnes peuvent sincèrement tenter de « jouer le jeu », sans que, malheureusement, le mouvement soit intériorisé. On dit, dans le jargon de ma discipline, la gestalt, que la personne a « introjeté » la bienveillance, comme on aurait avalé quelque chose tout cru, sans le mâcher, sans le digérer ; que ce « commandement » – il « faut » être bienveillant – est comme un corps étranger auquel on obéit sans savoir pourquoi, ce qui fige la personnalité.

On pourrait se satisfaire cependant d’une bienveillance de façade pour les individus les plus rétifs afin, au moins, de permettre aux autres de vivre en harmonie. Ce serait à mon avis un mauvais calcul : la fausseté entraîne la fausseté et vous ne sortirez pas de ce cercle vicieux. Si je ne fais que faire semblant, les autres le savent, intuitivement, et nos rapports s’en trouvent faussés. Les rancœurs s’accumulent alors, jusqu’au moment où ils émergent au grand jour, soit par de la violence, soit par des dysfonctionnements.

Au contraire, cultiver la bienveillance suppose d’être… bienveillant, y compris avec le manque de bienveillance. Cela implique d’accompagner vers plus de bienveillance, avec le temps, les efforts et même les déceptions que cela entraîne. Ce qui me fait dire pour résumer mon propos : n’imposez pas la bienveillance, soyez encore plus bienveillant !

[1] Petite critique de la bienveillance,article de janvier 2017

Laurent Quivogne – http://www.lqc.fr/

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