Pourquoi l’humanité ne réagit-elle pas alors qu’elle sait pertinemment qu’elle court à sa perte ? (2/2)

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Sébastien Bohler, le bug Humain, Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher, Robert Laffont, 2019.

Le dernier ouvrage de Sébastien Bohler traite de notre inaction face au réchauffement climatique du point de vue des neurosciences. Le responsable, c’est notre cerveau, et plus particulièrement le striatum, trop stimulé dans nos sociétés capitalistes.

Le striatum est impliqué dans l’avidité pour le prestige, le luxe, les privilèges, le statut et la domination sociale. Le succès des réseaux sociaux réside d’ailleurs dans la construction de statuts sociaux virtuels qui stimulent notre ego. L’humain est programmé pour la comparaison sociale et cherche à se placer au-dessus de ses semblables. C’est pour lui une source de jouissance. Si le capitalisme fonctionne aussi bien, c’est parce qu’il flatte ce penchant naturel pour la comparaison. Il l’amplifie même dangereusement. Et peu importe les conséquences sociales ou environnementales de notre boulimie consumériste sur le long terme ; seule compte l’euphorie du moment.

Les études et prévisions alarmantes nous effraient, mais nous les oublions bien vite. Il nous revient à l’esprit cette phrase attribuée à Slavoj Žižek et Fredric Jameson, affirmant qu’il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme. Nous connaissons en effet exactement la nature des dangers qui pèsent que la planète ; nous mesurons parfaitement le degré d’urgence avec lequel ces problèmes doivent être traités. Et pourtant, impossible de passer véritablement à l’action pour stopper puis inverser la logique du système.

Pour espérer un tel changement, il faut en premier lieu reconnaître la spécificité du rôle joué par le striatum. C’est sur cette partie du cerveau qu’il faut s’appuyer pour initier cette conversion tant souhaitée. Car le striatum est extrêmement plastique.

Valorises les comportements vertueux

Une première piste proposée par Sébastien Bohler serait de détourner notre tendance à la comparaison sociale pour l’orienter à bon escient, en particulier en jetant la lumière sur des individus exemplaires dans leur comportement en faveur de l’environnement. « […] nous pouvons apprendre à valoriser d’autres comportements que la recherche de nourriture, de sexe, de farniente et de pouvoir. Ces renforceurs primaires sont actuellement les rois du monde parce que l’industrie parvient plus facilement à les exploiter et à les monnayer. Mais ce n’est pas la seule voie traçable » (p.204). Il s’agit de changer de référentiel de valeurs et de créer de nouvelles normes sociales qui permettent aux individus de développer de nouvelles marques de statut, de prestige, de reconnaissance sociale autour du respect de l’environnement. Et de compter sur la contagion des comportements. Médias, politiques et professionnels du marketing doivent s’aligner pour valoriser socialement les comportements plus vertueux. Imitons ces comportements inspirants et notre striatum nous récompensera !

Moins, mais mieux

Une seconde orientation serait d’aller vers davantage de frugalité (de faire moins, mais mieux) et de redécouvrir la satiété, cet état de satisfaction qui ne nécessite pas d’aller plus loin. Il s’agit de passer d’une logique quantitative à une logique qualitative. En mangeant moins de nourriture, mais en la savourant davantage, notre cerveau libère de la dopamine. Preuve qu’on peut être un décroissant heureux ! De même, à l’époque de la crétinisation des esprits, des IRM montrent que les enfants éprouvent plus de plaisir à la lecture d’un livre ou la visite d’un musée qu’en consommant. Bonne nouvelle : il semble possible d’assouvir l’appétit de notre striatum en l’alimentant en connaissances, en cultivant notre curiosité et notre agilité mentale. Des expériences montrent que quand on félicite des sujets pour avoir résolu des problèmes, cela active les neurones dopaminergiques du striatum et stimule les mêmes aires cérébrales que les grands renforceurs primaires que sont la nourriture, le sexe, le statut social ou la paresse.

Les grands problèmes actuels du monde trouvent leur origine dans notre cerveau. Leurs solutions également. Mais quand serons-nous prêts « à vivre avec moins de renforceurs primaires et plus de conscience » (p.243), à œuvrer collectivement pour réussir un tel retournement ?

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