D’une vague à l’autre

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© Can Stock Photo / ronniechua

Après le tremblement de terre sanitaire et économique du printemps, l’Europe doit faire face à un deuxième choc en ce début d’automne. Après la rentrée scolaire et les premiers frimas, le virus s’est réactivé dans toute l’Union européenne avec comme caractéristique une large diffusion.

Face aux risques d’engorgement des hôpitaux, les pouvoirs publics sont contraints de mettre en œuvre de nouvelles mesures de confinement. Le calendrier n’est guère favorable tant sur le plan sanitaire qu’économique. L’hiver étant propice aux contagions par virus, la deuxième vague risque d’être plus dure à briser que la première. Pour l’occident, la fin de l’année est une période capitale sur le terrain économique avec les fêtes de fin d’année qui étaient censées compenser le manque à gagner du printemps. Les autorités seront sans doute plus vigilantes au moment du déconfinement pour de nouvelles répliques. La Chine semble avoir mieux réussi la sortie du confinement au prix d’une surveillance sociale très importante. À nouveau en capacité de produire et d’exporter, ce pays enregistre actuellement une forte croissance. L’occident compte sur ses vaccins pour enrayer l’épidémie. Compte tenu des protocoles, ceux-ci ne pourront réellement être déployés au mieux qu’à partir de l’été 2021. Ce déploiement exigera la mise en place de plans de production, de distribution et de vaccination draconiens. Au regard des problèmes rencontrés en France pour effectuer la vaccination de la grippe, le défi à relever sera à la hauteur de la crise. D’ici l’été prochain, les pays européens et plus généralement occidentaux seront soumis à un régime de douche écossaise ou de stop-and-go. La résilience des entreprises et de l’ensemble des actifs sera mise à rude épreuve. Cette deuxième vague brise le rebond de l’été qui s’étiolait depuis le mois de septembre en raison de l’accumulation des incertitudes.

Incertitudes politiques

Cette crise sanitaire et économique est aussi psychologique. Pour la première fois depuis de nombreuses décennies, des millions de personnes sont confrontées à des problèmes majeurs sur lesquels ils n’ont que peu de prise si ce n’est de respecter les règles d’hygiène publique. La réduction des libertés publiques dans les pays démocratiques n’avait pas été vécue par la quasi-totalité des populations. Seules les personnes nées avant 1940 peuvent avoir un réel souvenir des privations liées à la Seconde Guerre mondiale et des appels sous le drapeau pour la guerre d’Algérie. Les confinements, le télétravail, la restriction des liens sociaux ont des effets sur la productivité au travail ainsi que sur la consommation de biens et de services.

La seconde vague qui pour le moment est centrée sur l’Europe aura un coût économique en l’état difficilement évaluable. Avant même l’annonce d’un reconfinement, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, avait admis le 23 octobre que le PIB pourrait diminuer à nouveau au cours du quatrième trimestre. En Outre l’épidémie, le ministre soulignait que l’économie française devait faire face à de nombreuses incertitudes, dont les prochaines élections américaines et le Brexit. Il espérait alors que le niveau de 2019 serait atteint d’ici 2022. Avec le reconfinement décidé le 28 octobre, la perte attendue de PIB se situerait entre 2 à 5 points en fonction de la durée et de l’ampleur du confinement d’ici fin décembre. Les dépenses publiques devraient augmenter de plus de 10 milliards d’euros quand les recettes publiques se contracteraient d’autant.

L’Europe et les États-Unis devraient avoir des bilans différents à la fin de l’année. Sur le plan sanitaire, la situation n’est d’ailleurs pas identique. L’Europe a été touchée par l’épidémie dès mars quand les États-Unis l’ont été plus tardivement. La courbe du nombre de cas diffère entre les deux zones. Après une forte croissance entre avril et, mai, le nombre de nouveaux cas aux États-Unis s’est stabilisé à 40 000 par jour entre la mi-mai et le mois de juin avant de progresser rapidement pour atteindre 80 000 mi-juillet. Une légère décrue est alors intervenue jusqu’en septembre, mois à partir duquel une nouvelle hausse est constatée. Fin octobre, le nombre de cas atteint 70 000 par jour. En Europe, après le pic de mars/avril autour de 40 000 nouveaux par jour, une forte baisse a été constatée entre mai et août avec un nombre de cas inférieur à 10 000. En revanche, la remontée depuis le début du mois de septembre est massive avec plus de 200 000 cas quotidien en octobre. Le taux de mortalité lié à la maladie y est plus élevé que la moyenne mondiale et de celle de l’Europe. Il est en revanche proche de celui du Royaume-Uni (685 décès par million d’habitants contre 672 au Royaume-Uni et 515 en France). Sur ce sujet, avec l’absence de mesures de confinement, la Suède (517 décès par million d’habitants) se situe au même niveau que la France. Aux États-Unis, la tendance a été au maintien de l’activité avec des confinements localisés, essentiellement dans les grandes villes, sachant que la politique sanitaire dépend des Etats fédérés. Si le taux de chômage est passé en quelques semaines de 3,5 à 14,7 % aux États-Unis quand celui de l’Europe n’est qu’en légère hausse, les créations d’emploi y sont bien plus nombreuses depuis le mois de juin. Le taux de chômage américain est rapidement redescendu à 7,9 % en septembre.

Le commerce en ligne explose

Sur le plan économique, l’Europe est fortement touchée par la chute du tourisme et de l’activité aérienne. Le nombre de passagers jour est passé de 380 à moins de 100 millions par jour de décembre 2019 à août 2020. Les nouvelles mesures de confinement devraient aboutir à une nouvelle baisse du nombre de passagers pour l’Europe. Cela aura des conséquences sur les recettes touristiques qui compensent, pour la France, une part non négligeable du déficit commercial. Le tourisme représente 9 % du PIB français. Aux dépenses de transports, d’hébergement, de loisirs ou de restauration, il faut ajouter celles liées aux achats (luxe, alimentaire, cadeaux, etc.). Le manque à gagner sera important pour la France, l’Italie et l’Espagne.

La deuxième vague de l’épidémie touchera évidemment les fêtes de fin d’année et devrait avoir un effet négatif non négligeable sur la restauration et l’hôtellerie. Le commerce en ligne devrait battre tous ses records pour la fin de l’année. La progression de son chiffre d’affaires pourrait dépasser 40 % cette année.

Avec l’aéronautique, l’industrie automobile devrait replonger avec la deuxième vague. Au sein de l’OCDE, la production industrielle de matériel de transport s’était contractée de 70 % au cœur de la première vague avant de revenir à 10 % de son niveau d’avant crise. Ce secteur au-delà de l’épidémie est confronté au problème de la transition énergétique. Dans le cadre des plans de relance, de nombreux gouvernements ont souhaité l’accélérer au risque de fragiliser un secteur majeur de l’économie de leur pays. Avec la deuxième vague, la capacité de résistance des entreprises sera mise à dure épreuve rendant plus que délicat le maintien de mesures contraignantes sur le plan environnemental.

La poche d’épargne de précaution devrait continuer à s’accroître. Depuis huit mois, les ménages, conservent des montants de plus en plus élevés de liquidités. Le taux d’épargne qui était de 15 % au mois de décembre 2019 a atteint 27 % du revenu disponible brut à la fin du deuxième trimestre. Il a dû reculer à 20 % au cours du troisième. Il devrait automatiquement remonter durant le dernier trimestre. Un taux de 24 % serait assez logique.

Taxer les dépôts pour forcer les épargnants à consommer ?

La deuxième vague devrait conduire à un nouvel accroissement du déficit public. Au niveau de l’OCDE, il était passé de -2 à -14 % de décembre 2019 à juillet 2020. La dette publique des Etats membres dépasse désormais 120 % du PIB. Un nouveau dérapage de 1 à 3 points de PIB est probable. Cette dérive ne pourra qu’amener les banques centrales à augmenter une nouvelle fois la base monétaire sous couvert de rachats d’obligations. La base monétaire est passée de 12 000 à plus de 20 000 milliards de dollars pour l’OCDE de 2019 à juillet 2020. Dans ce contexte d’épargne et d’augmentation des dettes, la masse monétaire atteint près de 50 000 milliards de dollars en juillet 2020 contre 15 000 milliards de dollars en 2002. L’amplification de ce processus aura des conséquences à terme en fonction des choix réalisés par les agents économiques. Compte tenu de la faible appétence à la consommation, les acteurs économiques pourraient privilégier les actifs immobiliers et financiers conduisant à leur hausse. Il y aurait bien une inflation, mais limitée à certains actifs. Ce raisonnement suppose la reproduction du schéma des dernières années. Il est imaginable qu’une défiance généralisée aboutisse à une déflation généralisée avec la conservation d’un montant croissant de liquidités. Une trappe à liquidités pourrait ainsi se produire en cas de persistance de l’épidémie et du fait d’une longue récession. Les gouvernements pourraient être alors tentés de taxer les dépôts à vue afin de forcer les ménages à dépenser ou à investir.

Cette deuxième vague devrait conduire les banques centrales à retarder, une nouvelle fois, l’arrêt de leurs rachats d’obligations et donc de la monétisation des déficits publics. Un tel arrêt aurait aujourd’hui un coût insupportable pour les Etats et les acteurs économiques à travers une hausse rapide des taux d’intérêt. La sortie des politiques monétaires expansives devra s’accompagner d’une réduction des déficits publics. Or celle-ci par son caractère récessif est également peu admissible en l’état actuel de la situation. Le problème de la sortie du tout endettement qui se posait après la première vague, est évidemment encore plus d’actualité avec la seconde. La monétisation semble être pour le moment la seule porte de sortie.

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