Le Royaume-Uni et la peur du précipice

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© Can Stock Photo / miluxian

Depuis le 31 janvier 2020, date de sortie officielle de l’Union européenne, le Royaume-Uni est entré dans une période de transition pendant laquelle le droit européen continue à lui être appliqué. Le pays demeure dans le marché unique et l’union douanière. Il est censé respecter tous les accords internationaux que l’Union. Cette période intermédiaire devrait s’achever le 31 décembre 2020. Conformément à son souhait, le Royaume-Uni quittera alors le marché unique et l’union douanière. En l’absence d’accord de dernière minute, les relations commerciales entre les deux blocs, mais aussi dans les échanges entre le Royaume-Uni et le reste du monde, seront profondément modifiés.

vec sa sortie du marché unique qui assure depuis sa création en 1993 la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux, le Royaume-Uni sera soumis au droit commun des échanges tel que prévu par l’Organisation Mondiale du Commerce.

Le Royaume-Uni sort d’un large espace commercial

Le Royaume-Uni sort de l’espace douanier européen qui est bien plus large que l’Union européenne. En effet, il comprend la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein membre de l’Espagne Economique Européen (EEE). Ces trois pays ne sont pas soumis aux règles issues de la politique agricole commune (PAC) et la politique commune de la pêche (PCP). De ce fait, sur les produits agricoles et les poissons, des droits de douane peuvent s’appliquer. La Suisse, en tant que membre de l’Association Européenne de Libre Echange, bénéficie d’un accès partiel au marché unique grâce à plus d’une centaine d’accords bilatéraux signés avec l’Union européenne qui constitue par ailleurs avec Monaco, une union douanière. L’Union douanière européenne s’étend également à la Turquie, Andorre, et Saint-Marin. Pour la Turquie, seuls les produits industriels et les produits agricoles transformés sont concernés. Ces marchandises peuvent ainsi circuler librement entre les deux parties, c’est-à-dire sans droits de douane ou restrictions quantitatives. Pour les échanges en dehors de la zone d’union douanière, la Turquie applique le tarif commun de l’Union. Ce pays applique par ailleurs les normes européennes pour les biens industriels.

En l’état actuel de la négociation, le Royaume-Uni quitte totalement l’espace douanier, car il n’a pas prévu de réintégrer l’AELE dont il était membre jusqu’en 1973, année de son adhésion au Marché commun. Dans ce contexte, le 31 décembre 2929 le Royaume-Uni sera un « pays tiers » pour l’Union. A défaut d’intégrer l’AELE ou l’EEE, les autorités pourraient négocier un accord de libre-échange avec des contreparties à accorder aux Européens. Pour le moment, le gouvernement britannique rechigne à accepter les conditions européennes, ces dernières visant à empêcher que le Royaume-Uni puisse se transformer en cheval de Troie de pays extérieurs à l’espace européen. Les autorités européennes souhaiteraient l’adoption d’un tarif douanier commun pour éviter des distorsions de concurrence. En cas d’accord, le Royaume-Uni devrait appliquer des tarifs douaniers sur les importations en provenance de pays avec lesquels l’Union a conclu des traités commerciaux.

Un accord de libre-échange n’empêcherait pas l’apparition de nombreuses barrières commerciales non tarifaires pour leurs échanges de biens et de services. Les échanges entre les deux zones devraient supporter des surcoûts. Des contrôles aux frontières seront nécessaires pour vérifier l’origine des produits, procédures qui n’existent pas au sein de l’Union. D’après un sondage de l’organisation patronale Institute of Directors, un quart des dirigeants d’entreprise sondés en septembre disaient ne pas être sûrs que leurs entreprises soient prêtes pour la période transitoire. Selon le Gouvernement, entre 40 et 70 % des camions britanniques pourraient ne pas disposer des autorisations nécessaires pour entrer dans l’Union en 2021. Le risque de longues files d’attente est pris au sérieux avec des passages en douane pouvant atteindre deux jours.

Des conséquences économiques importantes

Dans un scénario sans accord de sortie ni période de transition, le PIB serait entre 7,75 % et 10,5 % inférieurs au niveau qu’il aurait atteint sans Brexit. En cas d’accord commercial, une contraction de 2 à 5 % serait constatée. D’après une étude de UK in a Changing Europe, l’effet sur l’économie britannique d’une sortie sans accord serait dans le long terme deux à trois fois plus important que celui de la crise du Covid-19.

Au-delà de la désorganisation des échanges que générera le Brexit, l’économie pourrait être durablement touchée. Selon le Centre for Economic Performance et l’OCDE, une chute des investissements directs étrangers (IDE) à destination du Royaume-Uni pourrait atteindre, à un horizon de dix ans, entre 22 et 30 %. Toujours selon l’OCDE,  la majoration des droits de douane pourrait réduire le pouvoir d’achat sur le long terme.

Les conséquences de la désunion seront variables selon les secteurs d’activités en fonction de leur dépendance au marché européen. Ainsi, la part des exportations britanniques qui se dirigent vers l’Union varie ainsi de moins de 20 % dans le cas des assurances à plus de 70 % dans le cas des communications et de l’agriculture. L’électronique, l’automobile, les produits chimiques sont les secteurs qui exportent la plus grande part de leur production vers l’Union, plus de 20 % en moyenne.

Même si un accord de libre-échange était signé, les échanges avec l’Union devraient diminuer dans les prochaines années. Les deux secteurs les plus affectés, avec des manques à gagner de l’ordre de 15 %, seraient celui des véhicules à moteur et pièces détachées, d’une part, et celui du textile et de l’habillement, d’autre part. Dans le scénario où un accord de libre-échange ne serait pas trouvé, tous les secteurs y perdraient, avec des manques à gagner de plus de 40 % dans le cas des véhicules à moteur et de la viande.

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Philippe Crevel

De faibles économies insuffisantes pour compenser les pertes

Les partisans du Brexit ont mis en avant les économies réalisées par le non-versement au budget européen de la contribution britannique. Entre 2014 et 2018, elle s’élevait à 13,4 milliards de livres par an en moyenne, après application d’un rabais moyen de 4,6 milliards de livres. L’Union européenne reversait 5,6 milliards de livres au Royaume-Uni, dans le cadre notamment de la politique agricole commune (PAC) et du fonds européen de développement régional (FEDER). La contribution nette moyenne du Royaume-Uni s’est élevée à 7,8 milliards de livres, soit environ 1 % des dépenses totales du gouvernement. Avec le Brexit, le Royaume-Uni récupérera les droits de douane qui actuellement étaient affectés au budget européen, soit 0,4 % des recettes britanniques. En revanche, le Royaume-Uni devra s’acquitter d’une soulte auprès de l’Union européenne conformément aux engagements que le pays avait pris avant le Brexit qui devraient se chiffrer à 30 milliards de livres.

Compte tenu de l’ampleur du déficit de sa balance commerciale, le Royaume-Uni devra continuer à attirer les investissements étrangers. Or ce pays dispose déjà, au sein des pays développés, de la réglementation la plus souple, notamment en ce qui concerne la protection des travailleurs et la promotion de la concurrence sur les marchés de biens et de services. La Banque d’Angleterre devrait continuer par ailleurs à monétiser la dette au risque de favoriser une dépréciation de la livre sterling et de renchérir le coût des importations. La Banque centrale travaille actuellement à la mise en place d’un taux négatif de 0,1 point pour favoriser l’investissement et faciliter le financement de la dette. Dans le cadre de la crise sanitaire, elle a par ailleurs prévu un programme de rachats de 875 milliards de livres. Elle possède déjà 45 % de l’ensemble des obligations gouvernementales échangeables, soit plus que la Banque centrale européenne. La banque d’Angleterre a la possibilité de porter ce taux à 70 %. Au vu de la part déjà détenue, des achats supplémentaires auraient un effet pour le moins incertain. Elle possède de plus marges sur les achats d’obligations d’entreprises.

Le Royaume-Uni pourrait être amené à gérer à partir du 1er janvier 2021 à la fois les conséquences de la crise sanitaire et celles du Brexit. La signature d’un accord avec l’Union européenne réduirait les effets récessifs. Il éviterait la mise en place de tarifs douaniers ou de quotas et de nombreuses barrières non-commerciales. En pleine crise économique, la réorientation des échanges apparaît un défi délicat à réaliser. Par ailleurs, les marges de manœuvre monétaires et budgétaires apparaissent bien faibles pour compenser les manques à gagner que l’absence d’accord pourraient entraîner.

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