Les États-Unis ont-ils gagné la première manche de la bataille économique ?

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A mi-novembre, face à la crise de la covid, les États-Unis semblaient mieux s’en sortir sur le plan économique que l’Union européenne. Cette situation pourrait être remise en cause dans les prochaines semaines compte tenu de la progression exponentielle du nombre de personnes contaminées outre-Atlantique et de la difficile transition à la Maison-Blanche.

Dimanche 15 novembre, près de 200 000 cas ont été enregistrés, soit deux fois plus que la semaine précédence. En une semaine, plus d’un million d’Américains ont été déclarés positifs. Y a-t-il des raisons autres que sanitaires qui expliquent que l’économie américaine résiste mieux que l’économie européenne à la pandémie ?

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Les États-Unis bénéficient d’un effet taille indéniable. Même si le nombre de cas de Covid est très élevé, l’épidémie n’a pas touché toutes les régions en même temps. La faible densité au cœur des États-Unis ralentit la diffusion du virus et permet un étalement des vagues. En Europe, les deux vagues sont très marquées quand les variations sont moins fortes aux États-Unis. Dans les faits, ce pays enregistre sa troisième vague, la première étant intervenue en mars/avril, la deuxième en juillet et la troisième en novembre. En Europe, pour le moment, deux vagues ont été enregistrées en mars/avril et en octobre/novembre.

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Le rapport à l’épidémie est différent de part et d’autre de l’Atlantique. Les Européens mettent davantage en avant le principe de précaution quand les Américains sont plutôt enclins à adopter une ligne « plus cowboy », plus favorable à l’économie, en jouant sur l’immunité collective. Sur ce point, les États-Unis ne sont pas homogènes, les habitants des grandes villes côtières et des Grands Lacs ont des positions assez proches de celles des Européens. Les États-Unis n’ont pas connu de confinement global comme en Europe dans la mesure où la politique sanitaire est de la compétence des États fédérés.

La résilience de l’économie américaine s’explique également par ses caractéristiques et par la politique mise en œuvre par les pouvoirs publics.

La puissance du secteur technologique américain

Les États-Unis peuvent compter sur la force de leur secteur technologique. Les GAFAM sont les grands gagnants de la crise sanitaire en cours. La valeur ajoutée des services d’information et de communication représente plus de 5,7 points de PIB aux États-Unis, contre 4,8 % au sein de la Zone euro. Le poids du secteur pharmaceutique est également légèrement plus important avec notamment un réel avantage pour les dépenses de recherche et développement. Les laboratoires pharmaceutiques américains avec en tête Pfizer sont en pointe pour l’élaboration des vaccins contre la covid-19 même si l’Europe dispose également d’entreprises performantes sur ce secteur à l’exemple de Biontec, Gsk et Sanofi, même si cette dernière est aujourd’hui plus une entreprise américaine que française. Parmi les dix premières entreprises pharmaceutiques dans le monde, six sont américaines. En 2019, le marché mondial du médicament a atteint 1106 milliards de dollars de chiffre d’affaires (environ 977 milliards d’euros). Le marché américain (États-Unis) reste le plus important, avec 47,5 % du marché mondial, loin devant les principaux marchés européens (Allemagne, France, Italie). La France demeure le deuxième marché européen derrière l’Allemagne. Toutefois, elle voit sa part de marché reculer de 2,2 points en dix ans.

L’Europe victime du tourisme

L’Europe est la principale destination des touristes internationaux avec, en tête de prou, la France, l’Italie et l’Espagne. A cette liste, il faut également ajouter la Grèce ainsi que l’Allemagne qui accueille un très grand nombre de congrès et foires industrielles. La chute du tourisme est un manque à gagner pour l’économie européenne. Les pertes sont certes partagées en ce qui concerne le marché aéronautique dominé par Boeing et Airbus.

L’automobile, un secteur en indélicatesse en Europe

La métamorphose du marché automobile est très rapide en Europe. Le durcissement des normes environnementales pèse sur le marché. La densité de la population est bien plus importante en Europe qu’aux États-Unis, le recours à la voiture y est moins nécessaire d’autant plus que le réseau de transports publics est important.

Un soutien plus important des pouvoirs publics

La réponse des pouvoirs publics a été plus forte aux États-Unis qu’en Europe avec, en particulier, des transferts aux ménages plus importants. Le déficit public américain est ainsi passé de 5 à 20 % du PIB quand celui de la zone euro est passé de 0,3 à 9 % du PIB. Lors de la première vague, le gouvernement fédéral a décidé de bonifier les allocations-chômage pour un montant de 600 dollars par semaine pendant quatre mois – prolongé de 300 dollars pendant six semaines par un décret présidentiel et un envoi direct de chèques de 1 200 dollars aux personnes dont les revenus sont inférieurs à 75 000 dollars par an. A la fin août, les revenus de l’année 2020 étaient plus élevés de 4 % que ceux de 2019. La FED s’est engagée dès le mois d’avril à soutenir l’économie américaine jusqu’à hauteur de 2300 milliards de dollars soit près de deux fois plus que la BCE. Les États-Unis pourraient néanmoins pâtir de l’absence d’accord au Congrès pour un deuxième plan de soutien à l’économie au moment où une troisième vague touche le pays.

Les États-Unis peuvent compter sur le rôle du dollar comme devise du commerce international et comme devise de réserve. Le pouvoir monétaire leur permet de s’affranchir de certaines contraintes économiques. La banque centrale américaine est par ailleurs plus encline à jouer la croissance et l’emploi que celle de la zone euro qui est plus attachée à la lutte contre l’inflation.

Une confiance plus élevée en l’avenir

Les entreprises et les ménages ont moins réduit leurs dépenses d’investissement qu’en Europe sur fond d’une confiance moins érodée. L’investissement est en recul de près de 40 % au sein de la zone euro depuis le mois de mars, contre une baisse de 10 % outre-Atlantique. S’il a fléchi entre avril et juin, l’investissement des ménages aux États-Unis a rebondi depuis pour retrouver son niveau d’avant crise. Pour la zone euro, il a baissé de 10 % sans réellement connaître de rebond. L’Europe paie également un sous-investissement marqué depuis une génération. En effet, l’investissement des ménages en logement est étal en Europe depuis 2003 quand il a progressé de 60 % aux États-Unis. De leur côté, l’investissement des entreprises a augmenté de 60 % aux États-Unis de 2003 à 2019, contre 40 % pour la Zone euro.

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Philippe Crevel

Les États-Unis, moins dépendants du commerce extérieur que la Zone euro

L’économie des États-Unis étant moins ouverte que celle de la zone euro, ils souffrent moins du recul du commerce mondial. Les exportations représentent 12 % du PIB aux États-Unis contre 27 % pour la zone euro. Elles sont en baisse de 12 % pour cette dernière depuis le mois de mars quand pour les premiers, le recul n’est que de 5 %.

La flexibilité du marché du travail américain

La flexibilité américaine est également un atout en période de crise. L’ajustement du marché du travail est brutal à la baisse et à la hausse aux États-Unis quand en Europe, les politiques de soutien des pouvoirs publics ont lissé les effets de la crise. Le taux de chômage est passé de février à mai de 3,5 à 14,7 % aux États-Unis avant de redescendre à 6,9 % en octobre. Celui de l’Europe est en hausse lente depuis la première vague de 7,2 à 8,3 de février à septembre. Les autorités américaines ont privilégié le soutien à la personne quand, en Europe, la priorité a été donnée au maintien de l’emploi avec le recours au chômage partiel,

Avantage aux États-Unis, mais le match n’est pas terminé

Sur les six premiers mois de la crise sanitaire, l’économie américaine sort relativement gagnante par rapport à l’Europe. Le match est néanmoins loin d’être terminé. Au moment où les États-Unis sont englués dans une transition politique délicate, l’Europe pourrait bénéficier de la mise en place du plan de relance décidé au cours de l’été. Pour emporter les prochaines batailles, la zone euro a tout intérêt à jouer les secteurs d’avenir en lien avec la transition énergétique et le digital.

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