Ne laissons pas des acteurs étatiques et non étatiques déstabiliser nos fragiles démocraties !

La violence virtuelle des réseaux sociaux ne doit pas déboucher sur la violence politique effective. Quand une journaliste découvre qu’elle est « directrice éditoriale » d’un compte dont elle n’a jamais entendu parler...

Una Mullally est une référence parmi les journalistes en Irlande. Editorialiste au Dubliner, elle collabore aussi au Guardian britannique et au Irish Times. Elle a été nommée « journaliste de l’année » en 2015. Fin août, des amis l’ont contactée pour s’étonner du contenu de certains des articles publiés sur le site dont elle est la directrice éditoriale, The British Left. Problème : Una Mullally n’a jamais créé de site intitulé The British Left. Elle commande une enquête à une compagnie privée de cybersécurité, FireEye.

Ce qu’il découvre : le site The British Left a été créé par le gouvernement iranien à destination du monde anglophone. Et ses lointains concepteurs n’ont rien trouvé de plus malin que d’utiliser son nom pour attirer du public. Aujourd’hui, Google a retiré ce site de propagande iranien de ses références. Mais il en naît d’autres tous les jours.

Poutine a été l’un des premiers dirigeants politiques à saisir les potentialités de ce fantastique outil de manipulation que constitue internet. Il utilise des « usines à trolls » et des « bots » pour faire passer sa propagande. Il l’a démontré durant les dernières élections américaines.

Dernièrement, la Chine est intervenue de cette manière dans les élections à Taïwan, en diffusant des fake news et en les faisant relayer par des dizaines de milliers de faux comptes. Steve Bannon, le grand manipulateur de médias largement utilisé par Donald Trump durant sa campagne électorale, est dorénavant à la manœuvre en Europe… Il faut rester vigilants.

La lutte pour le contrôle de l’information et l’influence des esprits ne date pas d’hier…

La guerre de propagande est centenaire. Le fondateur de la science des médias, Walter Lippman, travaillait durant la Première guerre mondiale au Committee on Public Information, cet organisme gouvernemental chargé de « vendre l’entrée en guerre des Américains » aux côtés des Britanniques et des Français. Il y côtoya Edward Bernays, neveu de Sigmund Freud et créateur de l’industrie des relations publiques. Comme le rappelle le chercheur Vasily Gatov, la propagande était considérée l’une des armes décisives de la guerre par le régime hitlérien. Et les communistes au pouvoir en Russie y voyaient l’outil politique réellement décisif. A l’ère des masses, la capacité à faire basculer les opinions publiques, à influencer la conscience collective, devenait capitale.

Cela fait longtemps que Régis Debray a montré le lien qui existe entre les médias et le type de contenus qu’ils favorisent. La Réforme et le protestantisme sont inconcevables sans l’invention de l’imprimerie, qui mettait la Bible en langue vulgaire à la portée du toutes les consciences. Le socialisme est inconcevable, lui, sans l’invention du tract, de la plaquette. L’ère du numérique, avec les réseaux sociaux, favorise la polarisation des opinions, la violence des propos, l’extrémisme sous toutes ses formes.

Mais le numérique et les réseaux sociaux attisent l’extrémisme et la violence.

Dans l’économie du clic, selon laquelle fonctionnent les réseaux sociaux, c’est l’attention et non l’information qui est devenue la source de valeur, la source de profit. Ce que vendent Facebook, Twitter ou YouTube c’est le temps qu’on passe dessus ; et ce que nos clics révèlent de nos goûts, de nos idées, de notre profil de consommateur. Car cela permettra aux publicitaires à l’affût de mieux cibler leurs annonces.

Or, le scandale, ce qui provoque l’indignation ou la colère est la meilleure façon de retenir l’attention. Une étude menée en Allemagne au début de cette année a démontré que les recherches sur le thème « manifestations » dirigeaient systématiquement l’internaute vers les contenus les plus extrémistes. Simplement, parce que ce sont ceux qui ont le plus de chance de déclencher les fameux clics, qui font vivre ces réseaux sociaux.

Le problème, écrit Joseph Nye, l’un des plus importants théoriciens des relations internationales, qui a servi sous Bill Clinton, le problème, c’est que des acteurs, étatiques ou non étatiques, ont compris depuis longtemps comment ce système pouvait être utilisé pour déstabiliser les démocraties.

Ne pas laisser des acteurs étatiques et non étatiques déstabiliser nos fragiles démocraties !

Les Américains savent à présent que les élections américaines de 2016 ont été préparées longtemps à l’avance par le Kremlin qui avait chargé L’Internet Research Agency de Saint-Petersbourg, de créer des douzaines de faux médias sociaux américains. Parfois, ils favorisaient un candidat – Trump. Mais d’autres fois, écrit Nye, « ils étaient juste conçus pour donner une impression de chaos et dégoûter les gens de la démocratie, les inciter à ne pas participer à des élections présentées comme des mascarades. »

Les puissances non démocratiques ont intérêt à présenter les élections libres dans les pays qui ont la chance de pouvoir choisir eux-mêmes leurs représentants comme truquées, inutiles.

La violence peut se donner libre cours sur les réseaux sociaux. On s’y habitue. Ce à quoi il ne faut pas s’habituer, c’est à ce que la violence virtuelle devienne une violence réelle. Que les appels à l’émeute débouchent sur un bain de sang. Parce qu’alors, la démocratie ferait le jeu de ses ennemis. Tant de puissances aimeraient voir l’Europe à feu et à sang !


Crédit : France Culture

Crédit Photo : Can Stock Photo – Niyazz


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