Y a-t-il trop d’épargne ?

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L’économie n’est qu’une somme d’équilibres, mais il peut arriver que ces équilibres ne soient pas optimaux. Cette question se pose en particulier avec l’épargne. Son gonflement serait un handicap pour garantir le retour d’une croissance pérenne. Son essor traduit un manque d’envie de consommer dans un contexte anxiogène. Il permet de financer des dépenses publiques croissantes et contribue, à ses dépens, à la socialisation des revenus. 

Au niveau mondial, le taux d’épargne privée (taux d’épargne de la nation – les déficits publics) a battu des records en 2020. Il a atteint, selon le FMI, près de 36 % du PIB quand l’investissement s’élève à 26 % du PIB. Cet écart traduit un excès d’épargne qui ne peut que conduire au maintien de taux d’intérêt et de taux d’inflation très bas. Cet excès d’épargne est le fruit d’une renonciation subie à la consommation et d’un niveau élevé d’inquiétude de la part des populations. Celles-ci ne croient pas à la pérennité du système de protection sociale ni en sa capacité à faire face à une crise de longue durée. Cet excès d’épargne est également provoqué par l’augmentation des revenus des classes moyennes des pays émergents qui mettent de plus en plus d’argent de côté. Le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat des pays émergents par rapport à celui des pays de l’OCDE est passé de 1998 à 2019 de 16 à 28 %. Le taux d’épargne des pays émergents s’élève en 2020 à 36 % du PIB, contre 28 % en 1998.

La politique monétaire expansive devrait entraîner une baisse de l’épargne en raison de la baisse des taux d’intérêt. Les acteurs économiques devraient privilégier la consommation à l’épargne, or tel n’est pas le cas. Par aversion aux risques, ils placent massivement leur argent dans les produits de taux. Ils optent également pour des placements comme les actions ou l’immobilier. La monétisation des dettes publiques accroît la masse monétaire et donc les possibilités d’épargne des acteurs économiques. Les banques centrales de l’OCDE détenaient en 2020 pour près de 15 000 milliards de dollars de titres publics, contre moins de 1000 milliards en 2008.

Les effets contrastés du vieillissement ?

A terme, le vieillissement de la population devrait se traduire par une diminution de l’effort d’épargne des ménages. En effet, les retraités sont censés puiser dans leur patrimoine afin de préserver leurs revenus. Les fonds de pension devront vendre des titres pour financer les pensions de leurs assurés. Pour le moment, ce phénomène n’est pas constaté. Au contraire, les taux d’épargne sont orientés à la hausse, justement en vue du financement à venir des retraites. Au Japon, pays comportant la proportion de plus de 65 ans la plus élevée de l’OCDE, le taux d’épargne ne baisse pas. En France, les retraités ne commencent à désépargner qu’après 75 ans.

Les entreprises de plus en plus épargnantes

L’excès d’épargne est également la conséquence d’une baisse de l’investissement en raison du recul du poids de l’industrie au sein du PIB. Les besoins en capitaux du secteur tertiaire sont moindres que ceux du secteur secondaire. Depuis 1998, la production manufacturière a augmenté de 60 % quand celle des services a progressé de 140 %. Le décrochage est essentiellement intervenu après la crise de 2008.

Les entreprises contribuent également à la hausse du taux de l’épargne avec l’augmentation des profits. L’amélioration de leurs marges leur permet de garantir des niveaux de profits plus élevés. Le taux d’autofinancement des entreprises dépasse 100 % au sein de l’OCDE en 2019 quand il était de 80 % en 1998. Les profits après taxes et intérêts avant dividendes sont passés de 14 à 17 % du PIB de 1998 à 2019.

La baisse du taux d’épargne des entreprises suppose une hausse de l’investissement, ce qui suppose des anticipations positives de la demande à venir. Elle pourrait être également provoquée par une augmentation des salaires avec, à la clef, un changement dans la répartition de la valeur ajoutée. A l’exception de la France et de l’Italie, les salaires au sein de l’OCDE ont augmenté moins vite que les gains de productivité, ces derniers ayant tendance par ailleurs à diminuer. Le salaire réel par tête a progressé ces vingt dernières années au sein de l’OCDE de 15 % quand la productivité par tête a connu une progression deux fois plus rapide. Pour certains, une augmentation des salaires permettrait de réduire l’épargne, considérant que la propension des ménages à consommer est forte et qu’elle est entravée par la crainte d’une perte de revenus. Cette propension n’est pas toujours au rendez-vous comme l’a prouvé, en 2019, le plan en faveur des gilets jaunes du gouvernement français. Ce plan qui portait sur 17 milliards d’euros n’a eu aucun effet sur la consommation. Une hausse de l’épargne à court terme a, en revanche, été constatée.

Pour favoriser la croissance, certains estiment qu’il est important de diminuer l’épargne. Pour d’autres, une baisse importante et rapide du taux d’épargne pourrait provoquer une remontée des taux d’intérêt surtout si elle intervient au moment de l’arrêt des rachats d’obligations de la part des banques centrales. La meilleure des solutions serait une réorientation de l’épargne au profit des entreprises qui opteraient pour une politique dynamique d’investissements.

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