« La collapsologie donne une visibilité au navire de l’humanité » (1/2)

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© Can Stock Photo / dolgachov

Et si la crise sanitaire et économique provoquée par le Covid-19 accélérait la possibilité de l’avènement d’un Nouveau Monde, plus sobre, plus sage ? Telle est du moins la conviction de Pierre-Eric Sutter, psychologue, coauteur avec Loïc Steffan, professeur d’écogestion de N’ayez pas peur du collapse ! (Editions Desclée de Brower. Juin 2020. Préface de Pablo Servigne). Loïc Steffan et Pierre-Éric Sutter, fondateurs avec Dylan Michot de l’Observatoire des Vécus du Collapse (OBVECO) exposent dans leur ouvrage les onze étapes qui permettent de passer de la collapsophobie (crainte des effondrements) à la collapsosophie (sagesse existentielle intégrant la possibilité et la préparation d’une vie après le collapse).

Le terme collapsologie évoque l’effondrement, pourrait-il annoncer des jours meilleurs ?

Pierre-Eric Sutter : La collapsologie parle effectivement de l’effet systémique que pourraient causer sur nos sociétés thermo-industrielles nombre d’effondrements – écologiques, sanitaires, économiques, sociaux… dont certains sont déjà en cours – si nous ne changeons pas radicalement nos modes de vie et nos croyances. Il est urgent d’évoluer vers un autre modèle que le capitalisme consumériste. Il faut revoir nos modes de production et de consommation qui provoque trop d’externalités négatives (pollution, prédations ou destructions irréversibles sur la biodiversité, épuisement des ressources, réchauffement climatique…) et qui dérèglent le bon fonctionnement de la planète. Nous sommes tous concernés. Il nous faut revoir notre adhésion de plus en plus in (sou) tenable à la fable d’une croissance infinie dans un monde fini.

Y aurait-il une collapsologie heureuse ?

Pierre-Eric Sutter : Sur un réseau social bien connu, il y a un groupe de 30 000 membres qui s’appelle ainsi « la collapso heureuse ». Ils ont bien compris l’intérêt de la réflexion apaisée et de l’ataraxie. Pour ne pas se faire déborder par les émotions. Loin d’être un délire d’hurluberlus, la collapsologie s’appuie sur nombre de recherches scientifiques tout à fait sérieuses (comme celles du GIEC). Elle met en garde l’humanité des risques qu’elle prend à faire comme si tous ces événements n’étaient pas graves.

Mais contrairement à ce qu’affirment ses détracteurs, la collapsologie n’annonce pas la fin du monde. Elle est une sorte d’alarme qui nous avertit que de nombreuses tempêtes se profilent à l’horizon et que le bateau de l’humanité pourrait chavirer si rien n’est fait pour les affronter.

C’est une chance que la collapsologie donne une telle visibilité à notre navire. Loin d’être une prophétie apocalyptique, la collapsologie est un discours rationnel qui indique qu’une vie est possible après le collapse, si l’on considère les tempêtes qui se profilent à l’horizon et qu’on se prépare à les affronter. Ce n’est pas en fermant les yeux pour faire comme si les tempêtes n’étaient pas réelles ou en les minimisant qu’on y arrivera au mieux. Pour paraphraser Spinoza, il faut gérer ses passions tristes – la peur de ne pas pouvoir faire face – en activant ses passions joyeuses – la ferme résolution de s’en sortir. C’est ainsi que l’on peut aborder l’avenir avec optimisme malgré les dangers. Nous avons les moyens et encore les ressources de nous en sortir si nous ne nions pas les problèmes et si nous les affrontons. Plus tôt nous nous y préparerons, moins il y aura de naufragés ou pire, de noyés.

La crise sanitaire provoquée par la pandémie du Covid-19 serait-elle une « chance » pour l’avènement d’un monde nouveau, plus sobre, plus vertueux, plus juste ?

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Pierre-Eric Sutter & Loïc Steffan, N’ayez pas peur du collapse !, Editions Desclée de Brower. 2020.

Pierre-Eric Sutter : La crise sanitaire que nous venons de traverser et l’une de ces tempêtes. Mais ce n’est rien à côté de ce qui nous attend si nous retournons au « business as usual ». Un exemple : si nous continuons à faire comme si de rien n’était, les prédictions du GIEC annoncent qu’il fera aussi chaud à Lyon qu’à Alger aujourd’hui en 2040. Peut-être plus si on regarde les dernières actualisations des modèles. Comment feront la faune et la flore pour s’adapter ? Et comment nous nourrirons-nous si nous ne commençons pas dès maintenant à planter des dattiers ou des avocats ? Certainement pas avec nos pommiers qui crèveront tous de soif… Revenons à l’après-Covid ; nombre de petits patrons vont mettre la clé sous la porte et des milliers de salariés vont perdre leur emploi du fait de la crise économique qui est en train de se profiler. L’Etat a déjà fait énormément pour amortir le choc : 110 milliards de plan de relance, essentiellement financés par l’emprunt (90 milliards). Plus toutes les aides sectorielles annoncées depuis comme les 7 milliards pour Air France ou les 8 milliards pour l’automobile. On aura malgré tout une baisse de 11 % du PIB. Près de 270 milliards d’euros.

En cumulant avec les 120 milliards, ça correspond peu ou prou aux sommes engagées par l’État pour une année normale. Nous avons pu faire face tant bien que mal cette fois-ci, mais à quel prix ? Pourrons-nous faire financièrement face à la prochaine crise écologique si elle est trop proche ? Ces deux petits mois de suspension des activités humaines ont néanmoins permis des retournements positifs sur la biodiversité, on a même vu baisser les gaz à effet de serre alors qu’ils croissaient sans discontinuer depuis des décennies. Ces deux mois ont été une préfiguration du monde nouveau vers lequel aller : moins d’activités superflues, plus de recentrement sur l’essentiel. Si les émissions sont limitées, il va bien falloir apprendre à choisir et à accepter la « part maudite » de nos consommations. En ce sens, la gestion des contraintes de cette crise a été une sorte de répétition générale du collapse, elle a montré que l’on peut s’en sortir. Elle a aussi montré qu’il faudra éviter de répéter certaines erreurs comme celle de ne pas se doter de stocks stratégiques, la tragédie du manque de masques au début de la crise l’a illustré.

Le concept de collapsologie date de 2015 quand il a été formulé par Pablo Servigne et Raphaël Stevens. Peut-on considérer aujourd’hui que le monde a pris conscience de la finitude de la planète ?

Pierre-Eric Sutter : Oui dans les études, non dans les comportements. Il est certain que l’on a intégré depuis un peu plus d’un demi-siècle que la planète est un village dont on peut faire le tour en avion en à peine 24 heures. Ce dont nous avons pris conscience durant la crise sanitaire, c’est bien autre chose, que la planète est fragile, et nous encore plus.

Plus que de la finitude de la planète, c’est donc de la finitude humaine dont nous avons pris conscience. Le Covid nous a sortis du fantasme de la toute-puissance du progrès technologique qui nous plaçait dans l’illusion que nous étions plus forts que les maladies — et même de la mort si l’on se réfère aux délires transhumanistes.

Nous étions fragiles à nous croire forts. Désormais les plus forts seront ceux qui accepteront leurs fragilités ainsi que celle de l’environnement et qui sauront faire avec plutôt que contre. Ce n’est ni plus ni moins ce qu’indique la collapsologie.

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