Ces jeunes pousses qui misent sur le circulaire

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Victoria Lièvre et Luc Fisher ont combiné leurs compétences en design et en ingénierie d’affaires pour lancer un produit qui fait la part belle à l’économie circulaire

Exploiter les rebuts pour effectuer son sourcing : c’est la démarche adoptée aujourd’hui par nombre de structures œuvrant en PACA. Parmi ces dernières, la marque de mode Sauvage Méditerranée, confectionnant bijoux et autres sacs en exploitant les déchets marins et l’entreprise Repulp, qui mettra sur le marché sa « cup » à base d’épluchures d’agrumes issus du pressage courant 2021.

Les déchets, à la poubelle ? Pas toujours, si l’on en croit certaines jeunes pousses, maîtres d’un geste vertueux en termes de sourcing. Car elles sont en effet de plus en plus nombreuses à exploiter les rebuts en tous genres, leur donnant ainsi une seconde vie. En PACA, tel est par exemple le cas de Repulp, une « cup », ou gobelet, qui s’est choisi, en guise de matière première… les épluchures et pépins d’agrumes pressés. Ou Sauvage Méditerranée, marque de mode exploitant les déchets dont sature la grande bleue.

Dans les deux cas, c’est un amour voué à la nature qui a donné le la. Ainsi Manu Laurin, fondateur de la marque Sauvage, a-t-il effectué une nage, « un acte citoyen pour mettre un coup de projecteur sur l’état des mers, de Marseille à Toulon, soit sur 120 km de littoral. Cet événement, nommé le Grand Saphir, donnait lieu au ramassage des déchets tout au long du parcours ». Une récolte prolifique, avec un kilo de rebuts, à 92 % issus du plastique, à chaque kilomètre parcouru. « A l’issue de l’opération, j’avais la volonté d’en faire quelque chose ». Un collectif se crée, avec une dizaine de mouvements associatifs collecteurs. La structure de Manu Laurin, quant à elle, se focalise sur l’aspect revalorisation.

La Méditerranée bouleverse ainsi parfois les consciences. Celle de Luc Fischer et de Victoria Lièvre, le duo à la tête de Repulp, jeune entreprise dont les statuts ont été déposés cet automne, ne fait pas exception à la règle. Le premier, diplômé d’une école de commerce et ingénieur d’affaires, passionné de voile, a lui aussi pu constater à quel point la pollution affecte les fonds marins. La seconde, designer, spécialisée dans son cursus dans l’élaboration de nouveaux matériaux, ceci dans une logique d’économie circulaire, a pris conscience pendant son job étudiant de serveuse des quantités de déchets d’agrumes issus de leur pressage. Et les chiffres avancés par le binôme sont ni plus ni moins faramineux : « L’orange est le troisième  fruit  le plus  apprécié  par les Français. Nous consommons quelque  25 kg d’agrumes par an et par personne. Or, dans une production de jus d’orange, 50 % du fruit part au rebut. Par rapport à la production française, cela ne fait pas moins de 12 000 tonnes de déchets par an. Et à l’échelle européenne, plus de 3 millions de tonnes ! »

Sourcing locaux

Ainsi Victoria Lièvre va-t-elle imaginer Repulp lors de son projet de diplôme : un gobelet au design épuré. Le matériau, bio-sourcé, se pose en alternative aux plastiques issus de la pétrochimie. Et pour récupérer les précieuses épluchures, réduites en poudre, associées à d’autres composantes pour former la pâte envoyée dans le moule à injection, le duo de « repulpeurs » n’a pas tergiversé : il fallait s’approvisionner en privilégiant le local. C’est ainsi avec Kookabarra, producteur de jus de fruits vauclusien positionné bio et circuit court, que la jeune pousse a établi un partenariat. « Il ne s’agit pas d’exclusivité, nous espérons nous compter d’autres partenaires. Mais ce n’est pas évident de se constituer un réseau dans la mesure où certains producteurs de jus locaux n’utilisent pas forcément de fruits frais. » Outre Kookabarra, qui a réagi positivement, l’équipe a d’ores et déjà trouvé un autre partenaire, ardéchois celui-ci : la marque de glaces Terre Adélice.

Du côté de Sauvage Méditerranée, le sourcing s’opère donc auprès des associations investies dans la collecte de déchets : plastique PEHD, verre poli, voile de bateau… Des matières sélectionnées par les six acteurs de la marque en vue de valorisation. « Nous partageons par ailleurs notre atelier avec une association de plongeurs qui récupèrent les filets fantômes ». Un outil de pêcheur exploité notamment pour lancer de nouveaux produits, dès cet automne : sacs de ramassage, sac à provisions ou encore… hamac. Ce dernier sera, lui, mis sur le marché l’année prochaine.

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La cup nommée Repulp, biosourcée et conçue à base d’épluchures d’agrumes, sera mise sur le marché courant 2021.

Le B to B aussi

Ainsi, Sauvage Méditerranée se prévaut d’une dizaine de références sur son site marchand : bijoux et sacs réalisés en interne, ou encore trousses, ces dernières cousues dans deux ESAT d’Aix-en-Provence et de Toulon. Elle multiplie sur cet e-shop les initiatives vertueuses, puisqu’outre la possibilité de choisir un produit consigné, retournable contre un bon d’achat, il est désormais possible, depuis cet été, de payer en bouchons de bouteilles ramassés à l’extérieur. « Une boîte à chaussures pleine permet d’avoir un bon d’achat de 30 euros. Il ne s’agit pas bien sûr de ramener ceux des bouteilles que l’on achète soi-même, puisque nous ne voulons pas encourager l’achat de contenants plastiques. Aussi, nous demandons à nos consommateurs de nous transmettre des photos de leurs initiatives de collectes. Cette opération a de bons retours ». De quoi fidéliser la clientèle, découvrant par ailleurs sur le site des nouveautés régulières. « Nous marchons plutôt par types de collections. Pour l’heure, ce sont les bijoux, mais l’idée est de faire aboutir d’autres prototypes. Par exemple, une raquette de plage conçue là aussi à base de déchets. Nous réfléchissons enfin à une gamme de mobilier », annonce Manu Laurin.

Côté Repulp, on devrait également « étendre la gamme et proposer des séries limitées », explique de son côté Victoria Lièvre. Bref, on n’en restera pas non plus à la fameuse « cup ». Mais pour l’heure, il faut déjà lancer ce premier produit. Une campagne de crowdfunding, bouclée tout récemment bien au-delà des objectifs de départ (13 000 euros récoltés au lieu des 8000 fixés par l’équipe), va déjà permettre de parachever le développement du matériau et de financer le moule à injection. Celui-ci finalisé, « nous pourrons lancer une première production début d’année prochaine », annonce Victoria Lièvre. Question chaîne de valeurs, le binôme récupère les rebuts, les confie à leur injecteur situé à Roquevaire (13), puis récupère le produit fini et se charge de la commercialisation. Une mise sur le marché qui devrait suivre, dans le courant de l’année 2021.

Côté diffusion justement, les deux jeunes pousses ont choisi des stratégies similaires : un site marchand, de la vente physique dans des boutiques ou concept stores aux valeurs proches des leurs… mais aussi, un positionnement avéré sur le BtoB. « Les restaurateurs sont en demande et nous contactent. Il faudra étudier par contre dans ce cas la question de la résistance de la “cup” à la chaleur ». L’équipe de Sauvage travaille elle aussi avec les entreprises, réalisant pour ces dernières des objets personnalisés notamment, et enregistre de grosses commandes de la part de la Ville et d’autres institutions locales.

Tout ceci, en fondant déjà sur l’avenir. Puisque Manu Laurin et son équipe projettent aussi un changement de local. Un site plus spacieux qui pourrait devenir un véritable levier de croissance. « Il accompagnerait la diversification de nos activités. Nous voudrions en effet accueillir du public, proposer des journées collecte le matin et confection l’après-midi. Il y serait possible d’accueillir des designers œuvrant sur leurs propres objets, nous mettrions donc à disposition nos machines, notre expertise dans le traitement des déchets. Nous y prévoyons différentes pièces, chacune dédiée à une valorisation spécifique. Par exemple, un espace fonderie, un espace valorisation des déchets marins… Ce serait un tiers-lieu entre recyclerie, ressourcerie et maker space ». Ce nouveau site devrait voir le jour début 2022, sous statut associatif. « Mais nous n’excluons pas, en fonction de la demande, de créer une entreprise en parallèle pour répondre à d’éventuelles demandes de prestations, commandes privées et publiques », conclut Manu Laurin.

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