Earthship Sisters ou le leadership environnemental en action

Le programme phocéen Earthship Sisters, visant à accompagner des femmes dans la concrétisation de leur projet durable, a sélectionné 17 recrues. Coaching, mentoring, week-ends en pleine nature et navigation en Méditerranée constitueront la base d’un suivi de neuf mois, ce pour un objectif final : faire naître les entrepreneures environnementales de demain.

Elle en est convaincue, parler à l’humain et actionner le levier du leadership environnemental sera davantage un moteur du changement pour la planète que la simple diffusion de données scientifiques. C’est le constat établi par la docteure en écologie Déborah Pardo et au vu de son parcours, ce n’est pas un vain mot. « J’ai travaillé pendant huit ans dans la recherche internationale sur les albatros, les différentes espèces d’oiseaux marins qui vivent soit en Arctique, soit en Antarctique. J’ai réalisé des études portant sur l’impact de la pêche, du changement climatique et de la pollution sur les espèces en déclin, en publiant des articles qui ont permis de changer le statut de certaines espèces d’albatros sur la liste rouge des espèces menacées. Mais je n’étais pas convaincue par le système, je trouvais que ça n’allait pas assez vite. » Alors Déborah Pardo quitte la recherche académique pour devenir consultante free-lance en science, conseiller les start-ups, les fondations. Mais c’est sans doute sa participation en 2016 en tant que première Française au programme Homeward Bound, proposant chaque année à plus de 70 femmes scientifiques une expédition en Antarctique et une formation en leadership environnemental, qui fixera le cap de la suite de son parcours. Puisque deux ans plus tard, elle crée en binôme avec le capitaine Nathalie Ille, spécialisée dans les expéditions à but scientifique, thérapeutique et éducative, le programme Earthship Sisters (ESS). L’objet : accompagner les porteuses de projets durables pendant neuf mois à la faveur d’un dispositif de formation, coaching et mentoring sur mesure comprenant par ailleurs cinq week-ends en présentiel. Mais aussi, deux semaines de navigation en Méditerranée pendant lesquelles elles sensibilisent scolaires et grand public à l’environnement. 

Dynamique ascendante

La première session, en 2018, a permis à 14 premières « Sisters » de tracer ce sillage environnemental et de donner cours à leur projet. A l’issue du programme, 62 % des participantes ont changé de cap professionnel, 33 % ont entamé des collaborations entre elles et sept entreprises ou associations ont été créées. Parmi celles-ci, la TPE de l’ingénieur agronome Isabelle Lacourt, prénommée Lich’N. Son objet : valoriser les biodéchets de la restauration événementielle et restituer la matière organique du sol via des solutions de type vaisselle compostable « de qualité, déjà testée ». Perspective intéressante, sachant que 350 événements sportifs veulent réduire leur impact environnemental… Et pour la désormais dirigeante, l’apport d’ESS n’a pas été vain. « L’idée du projet Lich’N était déjà prête dans mon cerveau, mais moi, je ne l’étais pas. Le programme m’a donné les clés de compréhension de moi-même, j’ai trouvé la force en moi pour porter le projet jusqu’au bout », observe-t-elle.

Et donc, le coup d’envoi de la deuxième session est donné, avec la sélection, en décembre 2020, de 17 nouvelles « Sisters ». Une montée en puissance avérée du programme, explique Déborah Pardo, désormais seule aux commandes de cette aventure. « C’est deux fois plus de scolaires qui seront accueillis, trois bateaux au lieu d’un pour la traversée, l’organisation en sus d’ateliers d’experts… Enfin, un programme dédié aux entreprises est né. » Il s’agit d’une offre de formation sur mesure pour accélérer la transition environnementale du monde économique. Cette « learning expedition », visant à permettre de devenir une entreprise à mission et à développer une stratégie RSE, se propose en effet sous plusieurs aspects : Team Building, Hackaton, conférences, formations… « Enfin, autre nouveauté de cette nouvelle session, le mentoring, puisque des chefs d’entreprise vont intervenir pour accompagner les “Sisters” sur leur projet, en complément des coachs qui interviennent eux sur le développement personnel. Ce qui donnera lieu à une trame, un journal de bord représentant quasiment le business plan de la porteuse de projet suivie. »

Gagner la légitimité

C’est donc ce qui attend les 17 nouvelles participantes, venues avec, dans leur valise, des projets positionnés dans des domaines diversifiés. Le jury y veille. « On leur demande d’en être au moins au stade de l’idée », précise Déborah Pardo. R&D, développement personnel en vue de révéler le leader en elle, business model, levée de fonds, les besoins varient selon la « Sister ». Parmi elles, la Marseillaise Marie Giraud-Héraud. Sage-femme de métier, intervenant de fait sur des problématiques liées à l’addictologie, celle-ci souhaite développer un substitut à la cigarette qui soit sain, éco-sourcé et sans danger pour la santé. Ce qui n’est pas le cas de la cigarette électronique, dont on sait à présent « qu’elle peut générer des maladies pulmonaires », explique-t-elle. Ainsi le programme ESS, « venu à elle par le biais d’une amie qui a participé à son élaboration », devrait notamment l’aider à « dupliquer à grande échelle » un produit qu’elle dit « faisable ». « J’avais au départ des réticences au sujet de ce milieu 100 % féminin et au final, je ressens comme une opportunité de créer quelque chose entre femmes. J’ai été surprise de voir qu’il n’y avait aucune rivalité, aucune jalousie, mais au contraire, une belle énergie. » Il a fallu tout d’abord surmonter le stress de la sélection. « En particulier celui relatif à la réalisation d’une vidéo de deux minutes pour se présenter. J’ai mis un mois à la faire ! J’avais peur que mon projet ne soit pas à la hauteur… Mais il s’agissait du seul relatif à la santé, alors cela a dû peser dans la balance. »

Cette question de la légitimité, elle a aussi effleuré la Corse Séverine Nardini-Chiocca, venue pour créer un stylo durable. Sa présence parmi les 17 élues lui « a donné une force » et l’a ainsi confortée quant au bien-fondé de son idée. La confiance en elles : c’est entre autres ce que ces graines d’entrepreneures — qui ne se seraient pas lancées pour 92 % d’entre elles si le programme avait été mixte, selon un sondage réalisé à l’issue de la première session — viennent chercher. « J’écris beaucoup, je travaille dans la fonction publique territoriale, où l’on est très consommateur de stylos, outil jetable par excellence. » L’idée lui vient alors de donner le jour à un homologue vertueux, soit « un très joli contenant durable et un contenu compostable, le tout étant le moins impactant possible, tout au long du cycle de vie du produit ». Elle compte ainsi sur « l’énergie, les liens très forts, le mécénat de compétences, l’appui des mentors et des partenaires » pour entrer dans le concret.

Au-delà des frontières

Se faire mettre le pied à l’étrier à l’aube de la mise en route d’un chantier pour le moins ambitieux : c’est enfin ce qui a décidé la Niçoise Caroline Cluzel à intégrer cette deuxième promotion. Désirant en effet mettre en place un système d’arrondis sur salaire auprès des entreprises pour financer des projets écologiques portés par des associations, elle attend beaucoup du programme ESS. Et avant tout, de la méthode. « J’ai besoin que l’on m’aide à tirer le bon fil de la pelote, vu que le projet recèle beaucoup d’aspects. Il y a des verrous juridiques à lever, un business model à établir, voire deux pour répondre aux spécificités des grandes et des petites entreprises, une interface informatique à mettre en place… » Pour cette dernière, le contact est déjà pris avec deux partenaires spécialistes du digital œuvrant au sein du réseau ESS.

Ainsi Caroline Cluzel le constate d’ores et déjà : « j’étais un peu circonspecte sur la notion de sororité, souvent rebattue et dévoyée, mais c’est vrai, il y a un élan incroyable de solidarité et de soutien ».

Ainsi, les 17 sélectionnées vont pouvoir faire entrer leur projet dans la réalité, mais pas seulement. Car, conclut Déborah Pardo, il s’agit pour elles d’« une triple opportunité : les “Sisters” deviennent non seulement des entrepreneures, mais aussi des ambassadrices de l’environnement auprès du grand public ainsi que des expertes en la matière au sein de la Earthship Family ». Un statut qui leur permet d’intervenir lors de conférences ou de formations. Et de fait, les graines de leadership se sèment ici et là, même au-delà des frontières. Earthship Sisters devrait en effet essaimer aux USA, en Tunisie, au Maroc, en Espagne, en Grèce, puisque des femmes se sont d’ores et déjà fait connaître pour porter le programme dans leur pays.

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