François Judet (Les Ateliers Brugier) : transmettre le savoir-faire et le faire évoluer

Les Ateliers Brugier, artisan d’art spécialisé dans le laquage, vont fêter leurs 100 ans en 2020. A leur tête, François Judet, adhérent du CJD, met le cap à l’international et fait face aux défis environnementaux.

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François Judet

Au fond d’une cour pavée de la Rue de Sèvres, les ateliers Brugier se préparent à célébrer leur siècle d’existence. Loin du tintamarre de la circulation en cette journée de grève de décembre, un compagnon passe au pinceau une couche de laque sur un guéridon confié par un client chinois. Adossés sur les murs, des panneaux étiquetés, par dizaines, témoignent de l’histoire de cet art multimillénaire né en Asie.

Le temps se serait-il arrêté dans cet atelier spécialisé dans le laquage créé par André Brugier en 1920 ? Aux commandes depuis dix ans, son petit-fils, François Judet se sent responsable de cet héritage. « Nous sommes des passeurs de laque. Nous nous inscrivons dans un projet qui était là avant nous et qui j’espère sera là après nous. Nous avons conservé le savoir-faire et nous voulons le transmettre en le faisant évoluer ».

Reconnaissance

Jeune dirigeant de cette entreprise artisanale de neuf personnes, l’une des 791 répertoriées dans ce 7e arrondissement parisien (46.831 sur l’ensemble de la capitale), François Judet n’avait pas pour idée première de se consacrer à cet artisanat d’art. Après des études d’économie à la Faculté et des connaissances théoriques guère propices à la conduite d’une affaire, il avait monté une entreprise de service informatique d’aide aux entreprises (installation de réseaux, formation…). Pourtant quand il lui a été proposé en 2009 de prendre le relais de sa mère, Nicole Brugier, il n’a pas hésité « même si c’était un saut important, un grand changement ». François Judet a pu compter sur la connaissance du métier acquise par celle qui avait succédé à André Brugier en 1987, et auteure d’un ouvrage de référence, Paravents et laques de Coromandel (Éd. Bibliothèque des Arts. 2013°) qui traite de ces laques chinoises exportées en Europe dès le XVIIe siècle, paravents pouvant atteindre 3 mètres de haut et 600 centimètres de largeur.

Dans ses nouvelles responsabilités, le trentenaire a pu également bénéficier de son adhésion au CJD : « cela permet de briser la solitude du dirigeant en rencontrant des gens dynamiques, créatifs dans une ambiance très rafraîchissante en permanence.et d’évoluer personnellement en changeant son regard sur soi-même. ». Actuellement membre de la commission d’intelligence collective, François Judet se félicite ainsi des bienfaits d’un partenariat monté avec l’université Paris Descartes sur la performance globale. Ce travail avec des étudiants permet ainsi d’enrichir la stratégie à mettre en place pour relever les défis posés à une petite entreprise artisanale à vocation internationale. Les Ateliers Brugier réalisent déjà hors de France une majeure partie de leur chiffre d’affaires (600.000 et 800.000 euros/an). « Nous avons beaucoup de clients américains, chinois. Nos derniers chantiers de laquage étaient à Paris pour un Qatari et en Angleterre où nous avons envoyé quatre compagnons sur place. »

Bain de jouvence

Contrairement à beaucoup d’entreprises en mal de recrutement de spécialistes, les Ateliers Brugier n’éprouvent aucune difficulté à embaucher. « Nous avons beaucoup de chances, relève François Judet. Dans la société française d’aujourd’hui, beaucoup de gens veulent travailler sur la matière et pas seulement sur des ordinateurs ». Sur un effectif de huit salariés, six viennent de l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art (sise rue Olivier de Serres dans l’arrondissement voisin) nantis d’un diplôme de laqueur-restaurateur. Quant aux deux ébénistes, si l’un est de formation classique, le second, un ingénieur cubain s’est reconverti aux techniques du laquage. « Les compagnons savent tout faire. Mais chacun exprime des affinités pour la matière, certains vont préférer des laques du Japon, d’autres de Chine, du Vietnam, ou encore des laques de style Art déco. Ce sont des spécialisations de cœur. »

Le métier de laqueur est relativement jeune en Europe – trois siècles — quand il remonte à plusieurs millénaires en Asie. Les principes de base restent inchangés, mais le travail s’est modifié avec l’arrivée des machines et plus récemment les contraintes environnementales. Il faut ainsi réduire le temps d’exposition des compagnons aux émanations des vernis, les solvants à base de pétrole utilisés pour le laquage. Le marché aussi a évolué : après le laquage des objets et des meubles, est apparue relativement récemment la mode du laquage directement sur les murs.

La laque a donc pris un bain de jouvence et fait son entrée dans la décoration des appartements. Un marché en expansion avec des références qui pourraient compléter le « tableau d’honneur » des Ateliers Brugier : des meubles chinois exposés au Musée Guimet ou encore cet exceptionnel coffre japonais de l’ère Edo en laque, or, argent acquis par Mazarin en 1658 et qui, retrouvé dans une succession, et restauré rue de Sèvres a été acquis en 2013 pour 7 millions d’euros par le Rijksmuseum d’Amsterdam.

Beaucoup d’émotion

Quelle est la recette de cette bonne santé, se demande-t-on ? Réponse de François Judet : « Ce que nous faisons n’est pas unique, mais notre façon de travailler est très spéciale. Nous avons trois métiers-laqueur (la création), antiquaire (le négoce), restaurateur (la remise en état) — qui non seulement assurent chacun une part équivalente à notre activité, mais nous permettent également, je dirais même surtout, de connaître la matière sous trois angles, ce qui nous donne une vision panoramique sur le sujet… ou plutôt l’objet ».

Quand on restaure un objet, il y a certes une matière à réparer, mais on fait aussi du bien aux gens qui le possèdent, en leur permettant de maintenir la mémoire de l’objet et de la transmettre.

Troisième génération à animer les Ateliers Brugier, François ne regrette en rien n’avoir pas suivi l’autre voie royale de la famille, la chirurgie, où se sont illustrés les Judet. Il avoue cependant que son métier s’y apparente à certains égards. « Quand on restaure un objet, il y a certes une matière à réparer, mais on fait aussi du bien aux gens qui le possèdent, en leur permettant de maintenir la mémoire de l’objet et de la transmettre. Il passe beaucoup d’émotion, d’histoire dans les objets et quand un objet est perdu, il y a toute cette ambiance “Madeleine  de Proust” qui disparaît. Les objets qui restent c’est une chance pour une famille. (pause) On fait du bien à la psychologie des gens. »

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