Laulhère : entre tradition et modernité

La baguette et le béret. Les images ont la vie dure. Mais les lois économiques peuvent en décider autrement. Sans des choix stratégiques pertinents pour s’adapter au marché, le seul fabricant significatif de bérets en France aurait pu disparaître. En 2012, Laulhère connaît des difficultés et dépose le bilan. Rosabelle Forzy reprend cette entreprise historique avec le groupe Cargo. L’ancienne cadre du groupe informatique Oracle a su relever le défi.

« Nous préparons notre participation à la grande exposition du Fabriqué en France à l’Élysée, nous sommes voisins ». Jeune femme énergique, la reine du béret ne boude pas son plaisir de voir ce « bout de patrimoine » sous les ors du palais présidentiel, situé à quelques encablures de son showroom, niché au fond d’une cour, rue du Faubourg Saint-Honoré. Rock, romantique ou sportif, le béret est sous les sunlights, exposé comme un bijou de luxe. De teintes éclatantes, il y a le cachemire, le Jules, le Jim, le Garance rose à pompon, le Adèle style Hollywood…

Des photos rappellent que Bardot, Rihanna, Madonna, entre autres stars ont contribué à populariser la marque. Les vendeuses ne sont pas prêtes d’oublier la visite d’Emma Watson, l’actrice d’Harry Potter. « Savez-vous que le béret du Che Gevara est un Laulhère ? ».  Lorsqu’elle n’est pas à Paris avec sa petite équipe — accueil vente, commercial, web — Rosabelle Forzy est dans le berceau de la marque, aux pieds des Pyrénées, à Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées Atlantiques) où la production des bérets rassemble une cinquantaine de salariés autour de métiers ancestraux comme le tricot (à partir de la plus fine toison des fameux moutons Mérinos), le feutrage, le « bichonnage » (enlever les impuretés), la confection (Lanières, broderies, perles, nœuds, écusson…) la teinture et l’enformage. Laulhère, qui vient de ouélhé ou aoulhé, en béarnais signifie « berger ». Lorsqu’en 2012, elle a pris les commandes de l’entreprise fondée en 1840, elle a compris qu’il lui fallait s’imprégner de son histoire. « Six mois d’immersion avec une personne qui a écrit spécialement un livre sur cette marque légendaire ». La confiance est à ce prix, les salariés, échaudés par l’ancien repreneur, restent sur leur garde.

Tradition

Ce qui frappe la jeune entrepreneure, c’est l’attachement sentimental de toute une population au fort caractère. Et de narrer une anecdote pleine de sens « Lorsque l’ancien repreneur espagnol a voulu rapatrier les machines dans son pays, les ouvriers s’y sont opposés et les camions ont fait demi-tour ! ». Une fois plongée dans l’ADN de Laulhère, elle commence par remplacer les vieux équipements par des machines performantes à coups de centaines de milliers d’Euros. Le capital humain est précieux. « Un savoir-faire traditionnel, transmis de génération en génération ». Elle repositionne le béret en alliant subtilement la tradition et la modernité.

« Il ne faut rien s’interdire, mais ne jamais sortir des codes, garder la forme et l’image. Il n’y a pas de limite à l’imagination, mais un béret reste un béret ».

Depuis Berlin, deux stylistes, anciennes d’Yves Saint Laurent rivalisent de créativité pour donner au béret de Bourvil un look fashion. « On a trop retenu le côté ringard, il était temps de revaloriser l’aspect esthétique, le béret est un beau et sobre produit qui ne dénature pas la personnalité et de montrer sa dimension pratique, un chapeau peut dénaturer un visage et il ne se met pas dans la poche ! ».

Le Repetto du chapeau

Le groupe Cargo lui donne cinq ans pour redresser la barre et sauver l’entreprise. Sans les commandes traditionnelles de l’armée, premier marché de la marque, le défi eut été plus difficile à relever. Le deuxième marché, régional, est celui des métiers exposés aux dures conditions climatiques comme les agriculteurs ou les bûcherons. C’est le « socle des fidèles ». D’où l’importance du stand Laulhère, chaque année, au Salon de l’Agriculture. Il est aussi celui des terroirs où les touristes achètent un béret avec le sentiment de repartir avec un « souvenir de France ». Aussi, l’implantation se poursuit-elle à Lourdes, Saint-Jean-de-Luz et dans le quartier touristique des Abbesses, à Paris. Quant au marché international, il concerne surtout les maisons de luxe telles Hermès ou Gucci qui l’utilisent sous leurs propres marques pour les défilés de mode.

Cinq ans après, le chiffre d’affaires est passé de 2 à 3,9 millions et l’entreprise a retrouvé une rentabilité. « Quoi de plus intéressant que de porter un projet qui a du sens avec des équipes passionnées ? » Le rêve éveillé de Rosabelle est que Laulhère devienne le « Repetto du chapeau ». Sa plus grande fierté, elle vient de l’éprouver lors du pot de départ de Lucienne, la teinturière. Après 45 ans de carrière, l’ouvrière, rassérénée, lui a confié sa joie de finir dans une entreprise où il y a « un renouveau et une pérennité assurée ». 

Légende photo : Rosabelle Forzy, PDG de Laulhère et adhérente au CJD de Pau

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