Le problème, c’est le vieillissement et non la surpopulation

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Photo de Noelle Otto provenant de Pexels

Depuis le début du XIXe siècle, la population humaine a connu une progression exponentielle, passant de 1 à 7,5 milliards de personnes. Contrairement aux thèses de Thomas Malthus, la croissance démographique ralentit fortement du fait de la baisse généralisée du taux de fécondité. Si d’ici 2050, la population pourrait s’accroître encore de deux milliards, elle pourrait commencer à décliner dès la seconde moitié du siècle. Le taux de fécondité de longue tendance se situerait actuellement autour de 1,5, ce qui ne permet pas le renouvellement des générations (taux de 2,1). La baisse rapide de la fécondité provoque un vieillissement accéléré de la population.

L’Europe et l’Asie sont les premiers continents concernés. Les Amériques suivent le mouvement de près quand l’Afrique sera le continent de la jeunesse jusqu’à la fin du siècle. En 2100, les plus de 65 ans représenteront près de 23 % de la population mondiale contre 10 % en 2020. Ce taux atteint déjà 28 % au Japon et 20 % en France. En 2040, ces taux seront respectivement 35 et 30 %. Le Japon est le pays le plus avancé dans le vieillissement avec un taux de fécondité par femme qui varie entre 1,3 et 1,4 depuis 1995. Le pays a perdu 3 millions d’habitants depuis 2011 pour une population totale, en 2021, estimée à 125,7 millions de personnes, La Corée du Sud connaît un des plus faibles taux de fécondité à l’échelle mondiale, 0,9. En Chine, ce taux est de 1,3. Sa population est proche de son maximum à 1,415 milliard et devrait bientôt diminuer même si les autorités chinoises refusent de l’admettre. Le ratio de « dépendance » (entre population âgée et population active) est de 50 % au Japon en 2019 et pourrait atteindre 80 % en 2060. Celui de la Corée du Sud pourrait passer de 20 % en 2019 à 85 % en 2060.

Le vieillissement de la population constitue une réelle rupture dans l’histoire de l’humanité. La proportion du nombre de personnes âgées par rapport aux actifs augmente rapidement. Or, depuis deux siècles, une grande partie de la croissance économique s’est construite sur la progression de la population en âge de travailler. La baisse de la mortalité en particulier infantile a provoqué une brusque augmentation du nombre de jeunes. Celle-ci a induit une réorganisation des activités avec l’essor notamment de l’industrie et de nombreux flux d’émigration. L’Europe qui a été longtemps un continent d’émigration est devenue, compte tenu de son cycle démographique, un continent d’immigration. 

Risque d’inflation

L’augmentation du taux de dépendance devrait jouer en défaveur de la croissance avec plus de consommateurs et moins de productifs. Les services domestiques (services à la personne, santé, tourisme, etc.) devraient accaparer une part de plus en plus importante du PIB ; or ces services génèrent de faibles gains de productivité. La progression du nombre de retraités suppose un transfert de richesses en leur faveur, ce qui réduira les dépenses des ménages les plus jeunes qui en règle générale pour s’équiper acquièrent des biens manufacturiers. Elle pèsera sur la diffusion du progrès technique. Celle-ci est en général portée par les 25/40 ans qui sont à la fois à l’origine d’une grande partie des gains de productivité et qui sont consommateurs d’innovations. Leur poids moindre au sein de la population ralentit le progrès technique. L’instauration de principes de précaution ou la défiance vis-à-vis des découvertes s’expriment avec force au sein des pays âgés. Ils sont présents en Europe et au Japon. Aux États-Unis, pays plus jeune et plus ouvert aux progrès techniques, ils sont moins visibles.

L’augmentation du nombre de retraités devrait entraîner celle de l’inflation. La réduction de la population active combinée à des besoins importants de main-d’œuvre dans les services à la personne devrait conduire à une hausse des salaires. Le Japon infirme cette causalité. Ce pays est plutôt en proie à une déflation récurrente. Les seules hausses des prix sont générées par l’augmentation de la TVA ou la dépréciation du yen. Les retraités, pour le moment, maintiennent un fort taux d’épargne, contribuant ainsi à financer la dette publique. De la sorte, ils réduisent leur pouvoir de consommation, ce qui amoindrit les tensions inflationnistes et la croissance. Pour autant sur longue période, leur taux d’épargne devrait baisser. Au niveau mondial, le taux d’épargne est actuellement au plus haut 27 % du PIB en 2021, contre 23 % en 1995. Cette évolution est censée se retourner. La diminution des revenus alloués aux retraités les condamne à puiser, à un moment ou un autre, dans leur bas de laine. Aujourd’hui, en France, les retraités sont épargnants nets jusqu’à 75 ans quand ils ne le sont que jusqu’à 65 ans aux États-Unis. Les fonds de pension devront délivrer des sommes de plus en plus importantes et vendre progressivement le capital accumulé ces dernières années.

Le vieillissement devrait donc amener une baisse de la croissance potentielle aux États-Unis qui pourrait, selon Patrick Artus, économiste en chef de Natixis, passer de 2,6 % par an dans les années 2010 à 2,2 % par an à la fin des années 2020, de 1,3 à 0,4 % dans la zone euro, de 0 à -0,5 % au Japon et de 5 à 2 % en Chine. Cette diminution de la croissance du PIB se fera ressentir sur celle des revenus. Une pression forte s’exercera sur les pensions afin d’en limiter la progression. Si les années 1970/2000 ont permis en Europe et tout particulièrement en France l’éradication de la pauvreté chez les seniors, la question pourrait se poser à nouveau dans les prochaines décennies, ce qui ne sera pas sans conséquence sur le plan électoral, les retraités ayant un taux de participation bien plus élevé que les jeunes.

Pour maintenir le niveau de vie des retraités et accroître les capacités des services de santé, les États seront contraints d’augmenter les dépenses publiques. Cette augmentation aura un faible effet sur la croissance. Au contraire, elle pourrait avoir un effet négatif en raison des gains de productivité qu’elles généreront. La question du recours à l’immigration pour satisfaire les besoins en main-d’œuvre se posera avec de plus en plus d’acuité, les pays d’Asie comme le Japon ou la Corée du Sud semblent avoir récusé cette voie et opté pour des solutions technologiques (robots, objets connectés). Une autre option consiste à retarder les départs à la retraite en jouant sur les mesures d’âge avec en parallèle d’une augmentation du taux d’emploi des seniors.

Pour compenser les effets du vieillissement démographique sur la croissance potentielle, les pouvoirs publics devraient favoriser l’augmentation des gains de productivité. Or depuis une vingtaine d’années, ces derniers sont en baisse. La croissance de la productivité par tête, au sein de la zone euro, est passée de 2,5 % en 1998 à moins de 0,5 % avant la crise sanitaire.

Investissement dans les TIC

La baisse tendancielle de la productivité trouverait son origine notamment dans la dégradation du niveau éducatif du niveau scolaire au sein de la zone euro. Au classement PISA de l’OCDE (score global), la zone euro se classe derrière le Japon et les États-Unis. Une proportion élevée de jeunes a des compétences faibles et ne parvient pas à rentrer sur le marché du travail. 17 % des jeunes de 15 à 29 ans ne sont ni scolarisés et ni en emploi au sein de la zone euro hors Allemagne (15 % avec l’Allemagne), contre 10 % au Japon et 13 % aux États-Unis (sources OCDE). Cette inadéquation des compétences ralentit la diffusion des progrès techniques et accélère l’orientation de l’économie européenne vers les activités domestiques à faible productivité (tourisme, services à la personne). Le retard pris dans la modernisation des équipements des entreprises depuis une dizaine d’années en Europe se ferait ressentir en matière de productivité. Au niveau de l’utilisation des robots et de l’investissement dans les techniques de l’information et de la communication, la zone euro est distancée. Quand le Japon compte 3,5 robots pour 1 000 emplois manufacturiers, ce ratio est de 2,5 pour les États-Unis et de 1,9 pour la zone euro, hors l’Allemagne, ce dernier pays étant assez proche des États-Unis (sources Thomson Reuters). L’investissement dans les TIC représente 1,9 % du PIB aux États-Unis, contre 1,1 % du PIB pour la zone euro.

La proportion élevée de seniors parmi les actifs est censée peser défavorablement sur la productivité des entreprises. Cette corrélation est dans les faits difficile à vérifier. Des pays comme l’Allemagne ou le Japon qui ont des taux d’emploi élevés chez les 50/64 ans ont des gains de productivité plus importants que des pays ayant des taux d’emploi pour cette catégorie d’âge faible. La structure des emplois constitue un facteur plus discriminant. Les pays ayant conservé une industrie importante ont de meilleurs résultats en termes de productivité que ceux ayant connu des processus de désindustrialisation. En vingt ans, la proportion des emplois industriels est passée de 20 à 13 % au sein de la zone euro. Or le niveau de productivité par tête est deux fois plus élevé dans l’industrie que dans les services (80 000 pour 40 000 euros — source Eurostat).

Face au vieillissement de la population, les États membres de la zone euro auraient tout avantage à accroître leurs efforts en faveur de la formation et de l’investissement. Le développement du secteur industriel apparaît comme une nécessité afin d’arrêter la dégradation des gains de productivité.

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