Civisme : avec la crise, un éveil des consciences ?

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© Can Stock Photo / dolgachov

Les confinements de 2020 ont permis à des citoyens de réfléchir sur la question de la civilité en France, qui se perd d’année en année. Benjamin de Molliens a lancé Nettoie ton km, un principe tout simple qui consiste à ramasser les déchets qui jonchent le sol dans la limite d’une heure et d’un km autour de son domicile. Vincent Mitja a fondé Clean2gether, une solution pour signaler et gérer les dépôts sauvages. Arnaud Colette a quant à lui créé les Soldats du sourire, une troupe réalisant des maraudes et distribuant des denrées aux personnes précaires.

Civilité : observation des convenances en usage chez les gens qui vivent en société ; politesse, courtoisie (Larousse). Autrement dit, respect des règles de bienséances en public. Autant de mots que certains ont oubliés. Ceux-là mêmes qui accélèrent au niveau des passages pour piétons au moment où vous vous engagez sur la voie, ou avancent en feignant de ne vous avoir guère vu. Ceux qui jettent leurs détritus dans votre joli et paisible village. Ceux qui parlent bien fort au téléphone dans la salle d’attente chez le médecin. Ceux qui n’ont pas de limite, en somme. Les exemples de ces individus sans option « je m’auto-régule » sont nombreux.

À contrario, de belles âmes surgissent parfois, faisant preuve de civisme — à savoir le dévouement pour le bien de la société. Elles corrigent les incorrections et tendent la main lorsque personne ne veut le faire.

Benjamin de Molliens, un ingénieur de 33 ans, a lancé le hashtag #nettoietonkm, devenu viral sur les réseaux sociaux. Son défi consistait à sensibiliser à l’écologie au quotidien dans la limite d’un km et d’une heure, puisque le confinement nous obligeait à suivre ces instructions. « Début 2020, je devais faire une quatrième Expédition Zéro (un défi sportif itinérant mis en place par cet éco aventurier, NDLR) en trail running, après celles en vélo, rando et stand-up paddle. Or on s’est retrouvés confinés. J’ai donc décidé de changer mon aventure d’échelle : courir et ramasser des déchets, oui, mais dans mon rayon d’un kilomètre, une heure par jour. À la fin de mon premier running, j’ai eu l’envie de proposer aux gens de faire la même chose. Alors j’ai créé ce hasthag puis nominé plein de personnes, de plus en plus célèbres » explique ce breton d’origine, amoureux de la nature, de la mer et passionné de voyages.

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« Il est agréable de se promener dans un environnement sain et reposant. C’est vivifiant » rappelle Vincent Mitja, le fondateur de Clean2gether. « À l’inverse, lorsque l’on découvre un tas de déchets, c’est déprimant. Entre 2015 et 2018, nous avons observé une hausse de plus de 650 % de déchets dans la nature. Il était temps d’agir. C’est pour ces raisons que nous nous sommes lancés dans cette aventure : l’équipe Clean2gether participe au nettoyage des zones polluées et développe des outils pour faciliter l’organisation de collectes de déchets avec la participation des citoyens, associations environnementales et collectivités territoriales ».

Arnaud Collette, salarié chez Boulanger, responsable de la Veille des Marchés et du Category Management, auteur de romans et de guides de développement personnel inspirants, a de son côté fondé l’association des Soldats du Sourire. « L’idée m’est venue lors du premier confinement. J’avais entendu que, déboussolées par les interdictions de circuler, de nombreuses associations n’apportaient plus leur aide aux gens de la rue. Frustré de ne pas pouvoir agir, j’ai mis en place devant chez moi une table solidaire (met qui peut, prend qui veut). Je suis parti seul en maraude et j’ai créé l’association pour fédérer des énergies et subvenir aux besoins. Les Soldats privilégient le dialogue d’égal à égal avec les personnes de la rue, les rires et sourires, la distribution de produits de confort recherchés (sous-vêtements, blousons, chocolat, produits d’hygiène, mouchoirs, clopes, etc.). L’expérience se veut autant pour celui qui reçoit que pour celui qui donne. Nous tournons par groupes de trois pour écouter les besoins au plus près. Nos vœux les plus chers ? Grandir pour tourner plus souvent, élargir notre communauté Facebook, obtenir l’aide des villes de Lille et Villeneuve d’Ascq, trouver davantage de sponsors, acheter un Van cette année pour faire une cantine volante, organiser des tables solidaires au cœur de la Métropole, faire dormir des sans-abris la nuit dans les bureaux et tant d’autres encore… Les besoins sont immenses, le nombre de sans-abris a récemment doublé – et nous ne manquons pas d’idées » confie le Lillois.

Des idées brillantes, touchantes, qui forcent à revenir avec chacun d’entre eux sur la définition du civisme. Benjamin de Molliens évoque le « respect envers la collectivité. À l’échelle de l’individu, ne pas jeter ses déchets partout, essayer d’en produire moins, drastiquement limiter ses déplacements carbonés (avion, voiture, bateau à moteur) et être modéré dans ses achats (minimaliste) pour ne pas contribuer à la surconsommation ». Vincent Mitja résume cela en « respect de tout être vivant, de son habitat et de son environnement ». Arnaud Collette précise que « l’ensemble des actions que nous réalisons dans le souci des autres doit dépasser, en apparence, la recherche de notre propre bien-être. Je dis “en apparence”, car je suis de plus en plus persuadé que la recherche de notre félicité est plus efficace en recherchant d’abord celle des autres ». 

Une tradition de générosité

Lorsque nous leur demandons s’ils n’ont pas l’impression de faire ce que le bon sens ou l’éducation imposeraient de faire spontanément, Benjamin de Molliens rappelle que « malheureusement on n’est (naît aussi d’ailleurs) pas tous égaux face à l’éducation. Beaucoup n’ont pas accès à une éducation de qualité, notamment au sein du foyer familial ». De façon pragmatique, Vincent Mitja revient sur le fait qu’« il ne relève pas d’un exploit de respecter la nature et de ne pas jeter ses déchets par la fenêtre de sa voiture comme le font un tiers des Français en moyenne ». Philosophe, Arnaud Collette évoque le fait que « même avec une bonne dose de civisme, il n’est pas évident de se positionner face aux gens de la rue. Faut-il juger ? Comment aider ? Les associations ont un rôle capital pour organiser, réunir, expliquer, guider. Et lorsque tout s’aligne bien, les énergies se libèrent. La France a une tradition de générosité envers les associations caritatives. Aider les gens de la rue commence par de très petites choses : baisser la garde et la tentation de juger, ouvrir son cœur, sourire. Le message envoyé est alors : “je te vois, tu es digne d’être vu”. Je suis personnellement optimiste, non pas de la situation économique, mais de l’éveil des consciences. Le matérialisme chute et les gens sont en quête de sens, de solidarité ». 

« À la base de notre civilisation, il y a la liberté de chacun sans sa pensée, ses croyances, ses opinions, son travail, ses loisirs », disait Charles de Gaulle dans son discours au club français d’Oxford, le 25 novembre 1941. Lui appelait à la raison. En 2020, dans la ville chinoise de Suzhou, au nord de la province de l’Anhui, les autorités locales ont posté sur Internet des photos de sept personnes portant leurs vêtements de nuit dans la rue (les images étaient prises par des caméras de surveillance, accompagnées du nom de la personne, d’une image de sa carte d’identité et d’autres informations personnelles), qualifiant cela de « comportement non civilisé ». Eux ont appelé au fichage, à la honte.

Et entre les deux, des actions citoyennes…

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