Impôt mondial sur les sociétés : la fin de l’hypermondialisation ?

canstockphoto11269394 1
© Can Stock Photo / mmaxer

Gabriel Zucman, un jeune économiste français installé aux Etats-Unis, est l’inspirateur d’une décision du G7 que tous les analystes politiques s’accordent à juger historique. Cette révolution fiscale d’ampleur mondiale amorcée le 5 juin 2021 marquera-t-elle la fin du scandale des paradis fiscaux ?

Cocorico ! C’est un jeune économiste français, qui est l’inspirateur d’une décision du G7 que tous les commentateurs du monde s’accordent à juger historique. Gabriel Zucman, 34 ans, installé aux Etats-Unis et basé à Berkeley, depuis 2013, est l’un des principaux inspirateurs d’un tournant majeur dans l’histoire de la mondialisation, selon Dani Rodrik, professeur d’économie politique internationale à l’Université Harvard. « Les règles de l’hypermondialisation sont en train d’être réécrites », écrit l’économiste dans un article publié sur le site Project Syndicate L’époque où les multinationales pouvaient faire de « l’optimisation fiscale«  en jouant les Etats les uns contre les autres va peut-être prendre fin. Dans sa thèse de doctorat, Zucman avait démontré qu’environ 200 milliards de recettes fiscales échappent chaque année aux Etats et vont se dissimuler dans les paradis fiscaux. Îles Vierges britanniques, îles Caïmans si bien nommées, et autre Bermudes.

Et c’est en particulier le cas des bénéfices faits par les entreprises multinationales. Le taux moyen mondial de l’impôt sur les sociétés serait passé, entre 1985 à 2019, de 49 % à 23 %. C’est d’autant plus préjudiciable que les Etats ont été ainsi poussés, pour compenser ce manque à gagner, à augmenter d’autres impôts. La TVA, en particulier, parce qu’elle ne peut pas être détournée. 

Une révolution fiscale d’ampleur mondiale est enfin en cours. Comme Zucman l’avait démontré dans sa note fameuse, Taxing Multinational Corporations in the 21th Century, il existait des moyens d’entraver la course au moins-disant fiscal dans laquelle étaient engagés les Etats depuis une trentaine d’années. 

Gabriel Zucman avait indiqué plusieurs pistes pour mettre fin à cette désastreuse concurrence entre Etats. Et il avait été très écouté au Parti démocrate. A l’aile gauche (Bernie Sanders, Elizabeth Warren), il avait suggéré la création d’un impôt sur la fortune. Il n’a pas été retenu. Mais Joe Biden, le centriste, a fait sienne l’idée d’un impôt minimum mondial sur les sociétés. Le président américain était parti sur un taux à 21 % Le compromis auquel sont parvenus, la semaine dernière, à Londres, les pays du G7 a été finalement fixé à 15 %. Parce que c’est le taux qui a le plus de chance d’être accepté par les pays du G20, qui se réuniront à Venise le 10 juillet 2021. 

Pourquoi seulement 15 % ?

Le projet comporte, en réalité, deux volets.
Primo, les grandes entreprises dont la marge bénéficiaire est égale ou supérieure à 10 % du chiffre d’affaires devront allouer au moins 20 % de leurs bénéfices aux pays dans lesquels elles vendent des produits ou des services. Même si leur siège social est installé dans un des fameux paradis fiscaux où elles feignent d’être domiciliées.
Secundo, les pays du G7 s’engagent à ne jamais concéder un taux d’imposition inférieur à 15 %. Pourquoi 15 %, ce qui peut sembler faible, si l’on prend en compte qu’au sein de l’Union européenne, le taux moyen de l’impôt sur les sociétés est de 21,5 % ? % ? Ou, qu’en France, où ce taux, passait pour trop élevé — à 33 %, devrait être ramené à 25 %, l’an prochain ? Et que celui qui frappe les sociétés américaines devrait, lui, suivre le chemin inverse, puisque Biden désire le faire passer de 21 à 28 % pour les profits réalisés aux Etats-Unis. Le gouvernement français juge ainsi le taux de 15 % trop faible et l’a fait savoir. Pourtant, les services de Bercy estiment que la mesure adoptée par le G7 fera rentrer au moins 4 milliards supplémentaires dans le budget de l’Etat. 

Mais, comme l’écrit Dani Rodrik, « pour de nombreux pays en développement, ce taux minimal de 15 % apparaîtra encore bien trop élevé ». Certes, au sein de l’Union européenne, seule l’Irlande applique un taux inférieur (12,5 %) et la réforme l’obligera à l’augmenter. Mais plusieurs petits pays ont adopté des taux écrasés pour attirer sur leur sol des investissements qu’ils n’ont pas d’autres moyens de capter. C’est le cas notamment de la Moldavie, avec ses 12 % de taux d’imposition des sociétés, du Paraguay, avec 10 %, de l’Ouzbékistan (7,5 %). Même Singapour pourrait être gêné par le taux mondial de 15 %. Car si le taux légal y est de 17 %, la cité-Etat applique des taux bien inférieurs à certaines entreprises. Et ce sont aussi toutes ces exemptions et remises que le G7 entend faire cesser.

Le compromis final qui s’est fait sur le taux de 15 % pourrait être suffisamment bas pour minimiser les tensions avec les pays pauvres et permettre à ces derniers de s’engager. L’équilibre entre les règles mondiales et la souveraineté nationale peut avoir été trouvé de manière appropriée dans ce cas.

Dani Rodrik, La mesure fiscale du G7 et la fin de l’hypermondialisation, Project Syndicate

La France, elle, devra renoncer en échange à la taxe sur le chiffre d’affaires des GAFAM qu’elle venait juste de décider. Mais c’est sans doute la menace brandie par d’autres Etats, européens en particulier, d’adopter le même genre de mesure qui a fait réfléchir les Américains. « Ce qui est clair, maintenant, écrit encore Dani Rodrik, c’est que les pays qui fonctionnaient comme de purs paradis fiscaux – simplement intéressés par le transfert de bénéfices papier sans apporter de nouveaux capitaux – n’ont pas grand-chose à redire. Il est pleinement justifié d’empêcher des actions aussi clairement égoïstes et présentant des externalités négatives aussi flagrantes. L’accord du G7 est un pas important dans la bonne direction.


Crédits : France Culture

Partager cet article