Quelle est la fonction de la psychologie dans nos sociétés capitalistes ?

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Photo de Andrea Piacquadio provenant de Pexels

D’où viennent nos croyances ? Pourquoi notre besoin affectif de croire, malgré le désenchantement apporté par la modernité, demeure-t-il si fort ? La psychologie offre-t-elle un système de déchiffrement du monde, alternatif aux grands récits mythologiques ? Un psychologue américain livre son analyse.

Professeur de psychologie cognitive à l’Université de Chicago,  co-auteur avec Stephen T. Asma de The Emotional Mind, [La Pensée émotionnelle], Rami Gabriel travaille, comme tant de ces confrères ces temps-ci, sur l’origine de nos croyances. Ce qui l’amène à réfléchir sur notre besoin de croire. Pour lui, comme pour son compatriote Jonathan Haidt, ce sont nos émotions qui nous conduisent. Les raisonnements viennent après-coup, servir de justification à des choix déjà effectués. Constatant que notre « besoin émotionnel de détenir des explications dignes d’un engagement de croyance est plus grand que nous ne le comprendrons jamais, » Rami Gabriel compare sa discipline aux vastes systèmes de signification que sont les mythologies. Cette citation résume bien l’article qu’il vient de publier sur le site Aeon. Dans ce texte, Rami Gabriel s’interroge aussi sur la fonction sociale exercée par sa propre discipline, la psychologie, dans nos sociétés technologiques, capitalistes et désenchantées. 

Sport, cinéma, jeux vidéo : de nouveaux mythes pour déchiffrer le réel ?

Pour Rami Gabriel, la psychologie joue le rôle qui était autrefois exercé par la mythologie dans les sociétés archaïques. Les êtres humains sont des créatures qui ont besoin de trouver du sens pour faire face à l’inconnu et se guider dans la vie. Les mythologies procuraient des outils de déchiffrage de la réalité. Les grands mythes, qui se ressemblent souvent, d’un système de croyances à un autre, fournissaient des modèles d’interprétation partagés pour toute une culture. Ils donnaient ainsi du sens à un monde, dont les mystères ont toujours angoissé les hommes. 

Tous les mythes procurent une explication du monde, en rendant compte de l’origine des choses.  

Rami Gabriel

Ainsi, le mythe du Déluge, présent dans bien des religions, traduit le sentiment que les relations entre l’humanité et la divinité sont entrées en crise, ou encore la prise de conscience d’une séparation entre l’humanité et le monde naturel. Bien sûr, les mythes n’ont pas disparu de notre horizon. Le cinéma, les jeux vidéo, les spectacles sportifs sont l’occasion de recycler des personnages et des situations déjà présents dans les plus anciens cycles cosmologiques. 

Désenchantement du monde et prolifération des croyances : le paradoxe de notre contemporain

« La psychologie contemporaine est une forme de mythologie dans la mesure où elle constitue une tentative d’assouvir notre besoin de croire en des histoires qui fournissent un sentiment de la valeur et de la signification dans le contexte de la modernité sécularisée. » écrit Rami Gabriel. Et il s’explique : nos croyances sont toujours nos étoiles de berger ; elles nous guident. Lorsque les traditions équipaient les sociétés d’un système de sens total, les gens y trouvaient une sécurité émotionnelle. C’est cette sécurité dont la modernité nous a dépouillés. Car dans nos sociétés désenchantées, les grands systèmes de croyances, tels que les religions, sont devenus optionnels. Les Lumières nous ont enseigné l’autonomie, la liberté face aux traditions héritées, le pouvoir de gouverner nos propres croyances, le droit de choisir entre elles. Et cela crée de l’insécurité et de l’anxiété. 

Mais cela ne change rien au fait que la croyance est fondée sur des émotions. La modernité n’a pas supprimé le besoin de croire, elle a multiplié les substituts aux anciennes religions. Ainsi, est-elle caractérisée par « une prolifération de croyances ». Non par la disparition de la croyance. Or, la psychologie se trouve au carrefour des sciences sociales et des sciences naturelles. Elle étudie le fonctionnement de l’esprit humain. Son statut est ambigu.  

La psychologie, mythologie pour le XXIe siècle ?

Concevoir la psychologie comme une mythologie nous permet de percevoir que la psychologie est une représentation de ce que nous voulons comprendre de la réalité.  

Rami Gabriel

Primo, sous sa forme thérapeutique, la psychologie a tendu à prendre la place que jouait le « Salut » dans les religions. Elle relaie ainsi les pressions exercées par la société sur l’individu, pour qu’il s’intègre mieux, qu’il soit plus efficient, plus productif. 

Secundo, pour le psychologue, « la mythologie était traditionnellement l’expression d’un monde enchanté, et maintenant la psychologie est une tentative pour remplir l’espace désenchanté avec une riche caractérisation de l’intériorité. » Ainsi satisfait-elle, à sa manière quasi scientifique, notre besoin affectif et cognitif de croyance. Car, dans notre époque moderne, la science a pris en partie la place qu’occupaient les religions, dans la leur ancienne forme. 

Tertio, elle fournit des explications à quantité de mystères. « Par exemple, on peut croire que la personnalité est le produit d’un équilibre (ou d’un déséquilibre des neurotransmetteurs et qu’on peut influencer par le rituel de la prise de médicaments. » Car notre « monde commun » tient en place grâce à des rites et la psychologie a les siens. C’est pourquoi penser la psychologie en tant que mythologie permet de mieux comprendre le rôle qu’on veut lui faire jouer.


Crédits : France Culture

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