Biaise-moi (17) : faut-il considérer les entrepreneurs comme des super-héros ?

Les bons dirigeants contribuent-ils à accroitre significativement la performance de leurs entreprises ? La réponse semble aller de soi. En réalité, c’est un brin plus complexe.

Dans notre dernier article, nous montrions comment les belles histoires entrepreneuriales constituent des récits montés de toutes pièces laissant penser qu’il ne pouvait en être autrement, que tout était écrit, qu’une logique implacable était à l’œuvre pour que les choses se terminent de cette manière. Nous sommes victimes ici d’un biais rétrospectif qui nous fait ordonner les événements passés pour leur donner un sens. Mais ce sens ne préexistait pas aux événements ; il a été construit a posteriori. On ne découvre pas un sens, on le construit.

Conséquence de ce biais rétrospectif : nous pensons comprendre le passé. Cette illusion de compréhension en alimente une autre : nous pensons pouvoir prédire et contrôler le futur. Face à l’incertitude, il est très rassurant de savoir que des savoirs peuvent conduire à la réussite. De nombreux ouvrages destinés aux entrepreneurs surfent sur cette tendance. Mais ces manuels sont-ils réellement de bons conseils ou bien agissent-ils au mieux comme de simples placebos, utiles par l’illusion de maîtrise qu’ils procurent ?

Pas mieux que la chance

Pour le dire autrement, les dirigeants et les méthodes de management qu’ils appliquent ont-ils une réelle influence sur les performances de l’entreprise ? Deux études américaines[1] semblent l’accréditer, mais l’impact apparaît assez faible. En analysant des paires d’entreprises similaires (deux entreprises avec deux dirigeants dont l’un est meilleur que l’autre), il apparaît que l’entreprise dirigée par un meilleur dirigeant n’obtient pas de résultats significativement supérieurs à l’autre entreprise. En bonne logique, 100 % des entreprises emmenées par de bons dirigeants devraient générer de meilleurs résultats que celles conduites par des dirigeants moins bons. C’est très loin d’être le cas, puisqu’on se situe à peine au-dessus de la moyenne. « … Pas vraiment de quoi alimenter le culte héroïque dont les PDG font si souvent l’objet »[2], ironise Kahneman.

Un peu plus loin, le psychologue explique ce décalage entre la réalité et l’attendu. « Si vous vous attendiez à ce que ce chiffre soit plus important – ce qui est le cas de la plupart d’entre nous –, alors vous devriez considérer cela comme l’indication que vous avez tendance à surestimer le caractère prévisible du monde dans lequel vous vivez. » Comme nous l’avons déjà dit, nous sous-estimons le poids du hasard dans le cours des événements.

Ces livres nourrissent notre demande en certitudes illusoires. Ils relient à gros trait des styles de management à des récits d’échecs ou de réussite. L’impact entre les deux est exagéré. Rappelons qu’il est absolument impossible de prédire la réussite d’un entrepreneur, même extrêmement compétent et avec des idées géniales.


[1] Measuring and Explaining Management Practices Across Firms and Countries | NBER, et Managing with Style: The Effect of Managers on Firm Policies* | The Quarterly Journal of Economics | Oxford Academic (oup.com)

[2] Daniel Kahneman. Système 1 / Système 2. Les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2011.

Crédit Photo : Can Stock Photo – VadimGuzhva

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