L’économie, c’est avant tout de la démographie

Le décollage économique de l’Europe à la fin du XVIIIe siècle a autant reposé sur le progrès technique que sur l’augmentation de la population active. L’amélioration des conditions de vie en lien avec des gains de productivité dans le secteur agricole a permis le développement de l’industrie. Les périodes de forte croissance dans les différents pays interviennent avant tout quand la population active s’accroît et que la proportion des 25/35 ans est élevée. La baisse du taux de fécondité qui touche l’Europe, les Amériques et l’Asie entraîne un vieillissement rapide de la population mondiale.

Entre 2020 à 2050, la population âgée de 20 à 64 ans passera de 950 à 850 millions en Chine, de 230 à 200 millions au sein de l’Union européenne quand elle restera stable aux États-Unis. En revanche, elle augmentera en Inde en atteignant, en 2050, un milliard de personnes, contre 800 millions actuellement ainsi qu’en Afrique où un doublement est attendu (1,3 milliard contre 650 millions). Dans les trente prochaines années, la population active baissera de 15 % en Europe, de 20 % en Chine et de 30 % au Japon. Elle augmentera de 25 % en Inde, de 10 % en Amérique Latine.

L’Europe et le Japon aux premières loges

Le vieillissement démographique se caractérise par la hausse de la proportion des plus de 65 ans au sein de la population et par le recul de la croissance du nombre de personnes en âge de travailler (20-64 ans). Au niveau mondial, la proportion des plus de 65 ans est passée de 6 à 10 % de 1990 à 2020 et devrait atteindre plus de 14 % en 2040. Le taux de croissance de la population active qui était supérieur à 2,25 % en 1990 n’est plus que de 1 % en 2020. Il ne s’élèverait qu’à 0,6 % en 2040 (sources ONU).

Au Japon, pays le plus avancé dans le processus de vieillissement de sa population, la proportion de plus de 65 ans s’élevait en 2020 à près de 30 % et devrait atteindre 35 % en 2040. L’Union européenne suit de près avec des chiffres respectifs de 20 et 30 %. Parmi les pays avancés, les États-Unis ont la dégradation la moins marquée avec une part des plus de 25 ans qui se maintiendrait autour des 20 % à l’horizon 2040. En Chine, les plus de 65 ans sont passés de moins de 5 % en 1990 à 12 % en 2020. Ils représenteront 25 % de la population chinoise en 2040. Les pays africains seront les seuls à compter moins de 5 % de plus de 65 ans en 2040. De 2020 à 2040, les populations actives diminueront au Japon, en Europe, en Chine, en Russie et en Amérique latine. Elles continueront à croître en Afrique (+2 % par an) et aux États-Unis (+0,5 % par an).

Le vieillissement de la population est censé générer de nombreux effets économiques. Il est source d’inflation. La baisse du nombre d’actifs favorise la progression des salaires. Celle-ci est également alimentée par l’augmentation de la demande de services. Les entreprises compensent la baisse de la population active par une recherche de gains de productivité. Le Japon prouve qu’un vieillissement important ne s’accompagne pas obligatoirement d’inflation par les salaires.

Dans un monde en vieillissement, le taux d’épargne devrait diminuer. Les retraités sont supposés puiser dans leur patrimoine pour maintenir leur niveau de vie.

Par ailleurs, pour verser des revenus à un nombre croissant de retraités, les fonds de pension sont amenés, logiquement, à céder des actifs. La diminution des flux d’épargne devrait provoquer une hausse des taux d’intérêt et une baisse de l’investissement. Pour le moment, aucun mouvement de désépargne n’est constaté. Au contraire, le taux d’épargne à l’échelle mondiale tend à augmenter. Il est passé de 24 à 27 % du PIB de 1990 à 2019 (source FMI).

La seule grande certitude en lien avec le vieillissement concerne les finances publiques. Ces trente dernières années, les dépenses publiques de retraite et de santé ont augmenté à l’échelle mondiale de plus de deux points de PIB. En France, les dépenses liées au vieillissement sont responsables de plus de la moitié de l’augmentation des dépenses publiques constatées entre 2000 et 2019. La crise sanitaire a prouvé la sensibilité des finances publiques aux dépenses de santé. Compte tenu de l’évolution de la composition des populations, ces dernières ne peuvent qu’augmenter rapidement jusqu’au milieu de ce siècle. Les dépenses de santé et de retraite représentent le quart du PIB voire davantage en France, en Allemagne, aux États-Unis ou au Japon. Dans les pays à faible protection sociale comme la Chine, les ménages sont contraints d’épargner fortement, jusqu’à 40 % de leur revenu, pour faire face d’éventuelles dépenses. Cette épargne élevée pèse par ricochet sur la consommation.

La bataille des gains de productivité

Un des moyens de réduire les effets du vieillissement sur le plan économique est le maintien de forts gains de productivité. Or, plus une population vieillit, moins elle est encline à générer des gains de productivité. Selon Patrick Artus, l’économiste en chef de Natixis, la productivité par tête, entre 2020 et 2050 devrait augmenter de :

  • 2,3 % aux États-Unis
  • 0,8 % dans l’UE 27 
  • 3,0 % en Chine 
  • 2,0 % en Inde 
  • 0 % au Japon 
  • 0 % en Amérique latine 
  • 3,5 % dans les pays émergents d’Asie 
  • 1,0 % en Afrique

Compte tenu de l’évolution de la population et de la productivité, les États-Unis devraient conserver leur rang de première puissance économique mondiale. L’écart avec la Chine se creuserait à partir de 2040. Le PIB américain atteindrait 44 000 milliards de dollars (en valeur 2022), contre 33 000 pour la Chine. Le PIB de ce pays doublerait entre 2020 et 2050 tout comme celui des États-Unis. L’Union européenne serait en repli relatif avec un PIB de 16 000 milliards de dollars. Ce PIB serait en valeur stable par rapport à celui de 2020. Le PIB des pays émergents hors Chine serait multiplié par plus de 3 tout comme celui de l’Afrique. L’Amérique latine est pénalisée à la fois par la stagnation de la productivité et par la faible hausse de sa population. Le Japon l’est par le fort recul de la population et par l’absence de gains de productivité.

Le vieillissement de la population explique le retour rapide au plein emploi en Europe et la décrue longtemps espérée du chômage en France, pays dans lequel le nombre de départs à la retraite est de 800 000 par an.

Le nombre de retraités qui y était de 5 millions en 1980 est désormais de plus de 16 millions et devrait atteindre 24 millions en 2050. Le défi à relever est d’éviter que l’augmentation du nombre de retraités soit synonyme d’affadissement de la croissance. Ce phénomène sans précédent se conjugue en outre avec la transition énergétique qui exige d’importants investissements. L’apport extérieur pour la population active comme ce fut le cas dans l’Entre-deux guerres et après la Seconde Guerre mondiale en Europe apparaît inévitable. Par ailleurs, sans gains de productivité, les tensions sur les finances publiques seront importantes.

Crédit Photo : Can Stock Photo – iDesign

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