Les trois ruptures économiques des temps nouveaux

Au moment de la survenue de la crise sanitaire, experts et commentateurs répétaient que le monde de demain ne ressemblerait en rien à celui d’hier. Le Nouveau Monde qui se met en place n’est certainement pas celui qu’ils espéraient. La pénurie de matières premières, d’énergie et de main-d’œuvre accentuée par la guerre en Ukraine constitue sur fond de transition énergétique les éléments de la nouvelle donne économique. La persistance de la menace épidémiologique constitue également un facteur de dérèglement de l’économie.

Première rupture : le déficit de main d’œuvre

Au mois d’avril 2020, nombreux étaient ceux qui craignaient une envolée du chômage après la crise sanitaire. Or, deux ans plus tard, le plein emploi est de retour dans un grand nombre de pays et des goulets d’étranglement de la production se font jour à cause de l’absence de main d’œuvre. Plus de la moitié des entreprises au sein de l’OCDE indiquent rencontrer des problèmes de recrutement lors du premier semestre 2022. Cette situation est la conséquence d’une stagnation de la population active en lien avec le vieillissement de la population et de changements de comportements de la part des salariés.

Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, l’offre de travail est en recul. Dans la zone euro, les emplois atypiques, à horaires décalés ou à faible rémunération, ne sont plus pourvus. Cela concerne en priorité les secteurs de l’hôtellerie-restauration, des transports, des services à domicile ou du bâtiment. Pour le seul secteur de l’hôtellerie-restauration, le déficit d’emplois atteindrait 15 % entre décembre 2019 et juin 2022. Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, les problèmes de recrutement provoquent une augmentation des salaires, supérieure à 5 % l’an. En zone euro, la hausse est pour le moment plus modéré : 4 % l’an.

Deuxième rupture : l’insuffisance de l’offre de matières premières et de l’énergie

L’insuffisance de l’offre de matières premières a commencé à se faire ressentir avant même la guerre en Ukraine du fait de la forte progression de la demande post-crise sanitaire. Les pays producteurs de matières premières comme d’énergie éprouvent les pires difficultés à répondre à la demande du fait d’un déficit de main d’œuvre et d’un sous-investissement. Depuis plusieurs années, les capitaux s’orientent moins facilement qu’auparavant vers le secteur minier et vers celui des énergies carbonées. L’investissement en exploration et en extraction de pétrole et de gaz naturel est passé de 850 à 400 milliards de dollars de 2012 à 2021.

L’augmentation des prix des matières premières est imputable à une déformation de la structure de la demande des services vers les biens depuis deux ans. L’épidémie de covid a provoqué une progression des achats de biens technologiques et de biens intermédiaires nécessaires pour la modernisation des logements. La transition énergétique a également pour conséquence d’augmenter la demande en métaux nécessaires pour les éoliennes, les batteries, la réalisation d’infrastructures, la mise aux normes des logements, etc. Au sein de l’OCDE, la demande en biens manufacturiers a progressé entre 2019 et 2022 de 15 %. Elle a baissé de 5 % pour les services, ces derniers étant toujours handicapés par la persistance de l’épidémie. Le recours au télétravail et au numérique réduit également la consommation de services (transports, loisirs, etc.).

Les sanctions contre la Russie et la guerre en Ukraine provoquent une réduction de l’offre pour la gaz, le pétrole, les métaux et les produits agricoles clefs. La Russie produit 44 % du palladium, 16 % du gaz naturel, 16 % du titane, 12 % du pétrole, 10 % du blé et 7 % du nickel. Les retraits du marché entraînent une augmentation brutale des cours qui devrait perdurer dans les prochains mois. Depuis le début de la crise en Ukraine. Le prix du pétrole a doublé et celui du gaz plus que triplé. Le prix des métaux non précieux a été multiplié par trois et celui des matières premières agricoles par deux.

Troisième rupture structurelle : la transition énergétique

La transition énergétique est, par nature, inflationniste. Elle s’accompagne de la réalisation de nouvelles infrastructures coûteuses qui provoquent l’obsolescence d’anciennes pas obligatoirement amorties. Elle nécessite la création d’unités de stockage de l’électricité rendues nécessaires par l’intermittence de la production des énergies renouvelables. La transition énergétique accentue la demande de métaux comme le cuivre, le nickel, le cobalt ou le lithium, nécessaires pour la construction des réseaux électriques, des batteries, etc. Entre 2019 et 2022, le prix du cuivre a été multiplié par trois et celui du nickel par deux. Le prix du lithium a été multiplié par plus de six en moins de deux ans. La transition impose également une progression des investissements dans l’industrie, et dans le secteur du bâtiment pour limiter les émissions des gaz à effet de serre. La construction de l’automobile est contrainte de revoir de fond en comble son modèle avec l’interdiction de vente de nouveaux véhicules à moteur thermique d’ici 2035 au sein de l’Union européenne.

Le point commun de l’ensemble de ces ruptures structurelles est leur caractère inflationniste avec un risque de déséquilibre des marchés qui pourrait perdurer.

Les pouvoirs publics tentent de répondre de manière conjoncturelle sous forme d’aides ponctuelles à des problèmes structurels. L’objectif est de gagner du temps et d’éviter la multiplication des tensions sociales, mais celles-ci pourraient bien s’inscrire dans un temps long.

Crédit Photo : Can Stock Photo – tiero

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