La défaite de Trump, symptôme du reflux de la vague populiste ?

La défaite de Donald Trump signifie-t-elle que la vague populiste a commencé à refluer ? La victoire de Joe Biden ne signifie pas que les causes qui ont provoqué la colère d’une partie de l’électorat américain ont disparu. Et si tout restait en place pour un « trumpisme sans Trump » dans quatre ans ?

En septembre 2019, Matteo Salvini, à la fois vice-président du Conseil et ministre de l’Intérieur, a été lâché par ses alliés du Mouvement Cinque Stelle. Celui qu’on donnait pour « l’homme fort » de l’Italie doit prochainement passer en procès pour abus de pouvoir et séquestration de personnes. Il est au creux de la vague. Début novembre 2020, Donald Trump n’a pas obtenu des électeurs américains sa reconduction à la Maison-Blanche. 

Après celle de Salvini, la chute de la maison Trump

Le plus souvent, les présidents américains qui se représentent sont réélus. Tel fut le cas d’Eisenhower, de Nixon, de Reagan, de Clinton, de George W. Bush et d’Obama. Depuis la dernière guerre mondiale, seuls Gerald Ford, Jimmy Carter et George Bush père ont subi une semblable défaite. 

L’Italie est considérée comme le laboratoire politique de l’Europe, le pays où se déroulent les expériences politiques nouvelles. Pour le meilleur, comme pour le pire. Les États-Unis, de leur côté, sont regardés, depuis Tocqueville, comme le pays où les évolutions de la société et leurs traductions politiques anticipent sur celles du monde entier. La chute de Salvini et celle de Trump signent-elles le reflux de la « vague populiste » ? 

Bientôt le même désaveu pour d’autres « hommes forts » ?

Des dirigeants aussi déconcertants que Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan, Viktor Orban, Narendra Modi, Nicolas Maduro ou Jair Bolsonaro, que cette vague populiste a portés au pouvoir, vont-ils subir bientôt le même désaveu ? 

Après une « crise d’illibéralisme », les démocraties vont-elles renouer tranquillement avec leurs usages habituels — un centre droit et un centre gauche, d’accord sur l’essentiel, se disputant un pouvoir plus apparent que réel ? Si tel était le cas, on pourrait considérer que le temps des « hommes forts » promettant à leurs peuples de « reprendre le contrôle » n’aura été qu’une parenthèse. Est-ce l’hypothèse la plus probable ?

Pour qu’elle se vérifie, il faudrait que les causes qui ont produit l’écartèlement social, politique et culturel de nos démocraties aient disparu. Le populisme, en effet, surfe sur la polarisation idéologique et l’exploite à son propre profit en l’amplifiant. 

Les « hommes forts » populistes ne considèrent pas leurs opposants comme des concurrents, mais comme des ennemis. Des « ennemis du peuple ». Lorsqu’ils le peuvent, comme Erdogan ou Poutine, ils les font jeter en prison. Sort que Trump avait promis à Hillary Clinton. Ils entretiennent un climat de pré-guerre civile. Et c’est bien pourquoi ils sont encouragés et parfois soutenus, de l’extérieur, par les Etats adversaires, désireux de profiter de la faiblesse résultant de ces divisions.  

Il faut arrêter de traiter nos opposants comme des ennemis.

Joe Biden, 8 novembre 2020.

Le rôle historique des dirigeants qui succèdent aux leaders populistes sera, en effet, de réconcilier des sociétés fracturées et, dans certains cas, au bord de la guerre civile. Sinon, les causes qui ont provoqué les conditions d’émergence du populisme perdurant, de nouvelles figures l’incarnant surgiront. 

2024 : un « trumpisme sans Trump » ?

Ainsi, le politologue turc Zeynep Tufekcy, estime dans les colonnes de The Atlantic qu’Erdogan ne subira pas de sitôt le sort de Trump pour une raison basique : Trump est un politicien de hasard, une vedette de télévision sans aucune expérience politique, et que l’exercice du pouvoir a semblé ennuyer. Erdogan, au contraire, est un animal politique doté d’une grande expérience. 

Et Tufekcy d’avertir que toutes les conditions lui semblent demeurer en place pour que, dans quatre ans, un politicien, talentueux, cette fois, se fasse élire pour « poursuivre le trumpisme sans Trump ». Il a même des candidats en tête. Josh Hawley, sénateur républicain du Missouri et le plus jeune membre de cette haute assemblée lors de son élection, en 2018. Tom Cotton, qui vient d’être réélu haut la main sénateur de l’Arkansas. 

Une succession… ou un champ de mines ?

D’autres, comme Eric Posner, professeur à l’université de Chicago et auteur d’un livre intitulé en anglais Le livret du démagogue, estiment que Biden va se casser sur les dents sur les différents pièges laissés derrière lui par Trump. Les Républicains vont probablement conserver la faible majorité qu’ils détenaient au Sénat. La Cour suprême compte désormais 6 juges conservateurs sur 9. L’appareil judiciaire lui-même a été truffé de juges fédéraux hostiles aux Démocrates. Les agences fédérales ressortent démoralisées de quatre ans de guéguerre menée contre la plupart d’entre elles par l’exécutif. 

Par ailleurs, les mensonges proférés par Trump et ses relais sur les réseaux sociaux à propos d’un soi-disant « trucage des élections » ont semé un doute sur la légitimité de son successeur à gouverner le pays. 

Enfin, le Parti démocrate est aujourd’hui une coalition instable de modérés, comme Biden et Harris eux-mêmes, de radicaux et d’indépendants. Il sera difficile de concilier ces différentes tendances, tout en réparant les fractures provoquées au sein de la société américaine elle-même par Trump. Pour toutes ces raisons, écrit encore Posner, Biden ne bénéficiera pas de la période dite de lune de miel traditionnellement accordée aux présidents nouvellement élus. 


Crédits : France Culture

Crédit Photo : Can Stock Photo – SandraHutterDesign

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