Les Gilets Jaunes vus d’ailleurs

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Un populisme déjà vu ailleurs (Brexit, Trump, Cinq Etoiles…), mais avec l’accent français !

Mais qui sont ces Gilets-Jaunes ? C’est la question que pose, sur Politico, John Lichfield, l’ancien correspondant à Paris du quotidien britannique The Independent. La réponse est nécessairement ambiguë. Parce qu’ils sont pas mal de choses à la fois, d’où la difficulté à apporter des réponses unilatérales et définitives. En tous cas, il faut écarter, dit-il d’emblée ces hypothèses : on ne saurait réduire leur mouvement à de simples rejetons de Poutine ou de Steve Bannon. Ni à un pur effet des réseaux sociaux. Et pourtant, quelques lignes plus loin, Lichfield admet que – je cite – que « les cybermachines à propagande de la Russie et de l’alt-right ont tourné leurs beuglements vers ces flammes ». Et il fait appel à deux modèles qui permettent selon lui de saisir une partie de la nature du mouvement : les jacqueries du Haut-Moyen-Age contre l’augmentation permanente des taxes et des corvées imposées aux paysans, d’une part, le web-populisme, de l’autre – avec ses fake news qui tournent en boucle et la haine viscérale, irrationnelle des politiciens et des médias qu’il développe.

Cela fait penser, selon lui, au Mouvement Cinq-Etoiles, qui a également commencé comme une rébellion contre la démocratie représentative sur internet. Et au Tea-Party américain qui a préparé l’émergence de Trump dans l’Amérique rurale et conservatrice. Mais 5— Etoiles était un mouvement de jeunes urbains. Et à la différence du Tea-Party, les Gilets Jaunes ne sont guère intéressés par les questions culturelles et religieuses.

France périphérique

Cette colère, d’où vient-elle ? De cette France périphérique qui se sent méprisée, de ces petites villes en déshérence que les élites métropolitaines survolent en avion, ou traversent en voiture sans jamais s’y arrêter. Je cite « les Gilets Jaunes correspondent au modèle des révoltes populistes contre “la politique-toujours-la-même”, mais avec l’accent français. » C’est une révolte politique, menée par des non-politiques. On y trouve des chômeurs, des retraités aux petites pensions, des mères célibataires se débattant avec le salaire minimum ou les minima sociaux. Plus un contingent d’ouvriers et d’employés, ainsi que de nombreux indépendants et petits patrons, qui se sentent harcelés par les régimes sociaux et les inspecteurs du fisc.

Mais, interroge Lichfield, « _comment expliquer qu_ » un des Etats-Providence les plus généreux du monde suscite une telle colère ? », s’étonne Lichfield. En réalité, cette rage existait depuis longtemps dans le pays. Macron en a provoqué l’explosion, en affichant un programme de réduction des impôts pour les riches, et en alourdissant les prélèvements sur les petites retraites. Sous la pression du mouvement des Gilets Jaunes, il a dû faire machine arrière.

Et maintenant que peut-il se passer ? Une partie des Gilets Jaunes sont rentrés chez eux. Ils sont moins nombreux à occuper les ronds-points et à manifester le samedi qu’au début du mouvement. Ils ont compris que l’opinion se détournait du mouvement en réalisant les dommages subis par l’économie française.

Mais, prévient Lichfield, une autre fraction du mouvement veut continuer. Ce sont ceux qui veulent détruire les institutions représentatives de la démocratie et créer une nouvelle formule politique dont on ne sait pas grand-chose.

La frange modérée du mouvement, au contraire, est prête à entrer dans le jeu électoral classique, en présentant des candidats aux élections. Mais elle réalise que, ce faisant, elle donnera un sacré coup de main à Macron, en siphonnant des voix, essentiellement, à l’extrême droite, sa principale opposition et, dans une moindre mesure, à l’extrême-gauche.

Mauvais pour la Chine…

Analyse de Zheng Ruolin pour China Daily. Le mouvement des Gilets Jaunes, écrit-il, correspond au populisme de Donald Trump aux Etats-Unis. En France, comme en Amérique, les gens qui sont au bas de l’échelle sociale expriment leur insatisfaction envers la manière dont est gérée l’économie de leur pays. Et ils sont las de la démocratie représentative, qui est le fondement même de la politique en Occident. Mais le correspondant de China Daily estime que le mouvement est condamné à l’essoufflement. Parce que ces protestataires n’ont ni organisation ni objectifs clairs. En outre, écrit-il, ils se heurtent à des intérêts très puissants. Pourtant, il y a un risque de cercle vicieux : si la croissance stagne, les gens redescendront dans les rues… ce qui aura pour effet de ralentir la reprise de l’économie mondiale. Mauvais pour la Chine !

La même faille dans toute l’Europe…

« L’Europe est traversée par une faille qui va de Londres à Rome, en passant par Paris et Berlin, écrit, de son côté, le Handelsblatt hollandais (traduit par Eurotopics). Elle sépare les métropoles en plein boom et les provinces en déshérence. Entre les travailleurs du savoir qui gagnent bien leur vie et ceux qui vivent dans la précarité, l’univers des gagnants et des perdants – qui n’ont pratiquement plus de contacts. Pour assurer la cohésion de nos sociétés, il faudra non seulement faire la promotion de ces régions faibles, mais consentir un très gros effort de formation continue. Mais tout cela ne suffira pas, si nos élites cossues continuent de vivre dans un monde parallèle, qui ignore tout de la réalité de la vie de beaucoup de gens. »

Crédit : France Culture

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