Savons-nous vraiment quel est notre métier ?

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© Can Stock Photo / buchachon

Chacun sait quel est son métier, voyons! Pas si sûr. Beaucoup d’entreprises sont mortes de ne pas s’être posé la question. Certes, on a longtemps pu définir son métier par les techniques. On était menuisier ou mécanicien parce que l’on avait appris l’art de travailler le bois ou la mécanique.

Aujourd’hui, la réponse est moins simple, car l’explosion des techniques permet de proposer un grand nombre de solutions différentes.  Le confinement a amené à se poser de bonnes questions encore valables demain : comment maintenir, grâce à Internet, la relation avec des clients lorsqu’ils ne peuvent plus venir acheter ce qu’on leur vend d’ordinaire? En les entretenant de ce qu’ils trouvent chez nous et qui a de la valeur à leurs yeux ! Or, pourquoi les clients nous préfèrent-ils à nos concurrents? Pourquoi fréquente-t-on un restaurant particulier ? Pour la facilité d’accès, pour retrouver un plat, un décor, une ambiance, le sourire du personnel? La directrice d’un grand magasin de mode parisien me confiait que telle cliente venait depuis des années à cause d’une relation de confiance avec l’un des vendeurs : quand celui-ci prendrait sa retraite, elle perdrait la cliente. Et d’ajouter qu’au siège, l’on ne comprenait rien à cela. La relation humaine est bien un facteur d’attractivité.

L’agressivité, marché porteur, trompeur, tueur

En fait, le client attend qu’on lui apporte de la valeur, comme je l’ai expliqué dans une vidéo. Cette valeur dépend des valeurs du client, de sa personnalité, sa culture, son milieu. On est dans le subjectif, même si, a posteriori, chacun justifie ses choix de façon rationnelle. L’explosion des ventes des 4X4, des SUV (38% du marché français en août 2019) tient au fait que beaucoup de personnes désirent épater les autres, manifester leur richesse, leur virilité, satisfaire leur agressivité. La majorité des acheteurs de grosses voitures n’ont pas besoin de leur puissance, gaspilleuse et polluante, dénoncée par Greenpace. Ils adorent les formes provocantes et des noms comme Captur ou Escalade, certes moins provoquant que celui de Dictator porté par une Studebaker de 1927 à 1937… Tant pis pour les piétons! Le nombre de tués par des SUV a bondi de 50% aux Etats-Unis entre 2013 et 2017. Non seulement les SUV sont dangereux pour piétons et cyclistes mais ils protègent moins leurs conducteurs. Ceux-ci, pourtant, prétendent souvent les avoir achetés pour plus de sécurité.

Donc, beaucoup de constructeurs vendent de la vanité, de l’agressivité, au détriment de la société. Précisons que tous les acheteurs de SUV ne sont pas de dangereux arrogants. Heureusement, certains ont d’autres motivations. Et bien des personnes achètent ou sont prêtes à acheter la possibilité d’effectuer, tout au long de l’année, facilement, confortablement, économiquement leurs déplacements professionnels et privés.

La mobilité, un service

Il y a là un marché potentiel pour des offres nouvelles, dangereuses pour des constructeurs conservateurs. Uber n’est qu’un exemple de ce que, en bon franglais, l’on appelle MaaS, Mobility as a Service. Des applications prétendent déjà nous indiquer le meilleur moyen disponible pour effectuer un déplacement, voire offrent des abonnements forfaitaires. Demain, des compagnies d’assurances pourraient proposer un contrat « mobilité 365 jours par an ». Elles mettraient à notre disposition, selon nos besoins du jour, vélo, taxi, voiture, billets de train, d’avion, s’engageant à trouver, chaque fois, la solution nous convenant le mieux. Les constructeurs ayant cru trop longtemps qu’on leur achetait de la mécanique se trouveront désintermédiés par de nouveaux venus.

L’industrie, aussi, est du service

Toutes les entreprises, tous les professionnels doivent se poser deux questions. Quel avantage espèrent obtenir mes clients? Comment un nouvel acteur pourrait-il mieux satisfaire cet espoir, notamment au numérique? Aujourd’hui, définir son métier par la technique utilisée devient une dangereuse faute professionnelle. L’exemple de la musique est flagrant. Autrefois, l’on vendait le plaisir d’écouter de la musique à discrétion en proposant des phonographes à rouleaux de cire, puis des gramophones et des disques 75 tours, détrônés par les microsillons 45 tours, à leur tour tués par les CD. Et nous en sommes arrivés aux téléchargements, ce qui fait dire aux économistes classiques que l’on est passé d’une activité industrielle à un service. Mais, du point de vue des consommateurs, l’on est toujours dans le marché du plaisir de pouvoir écouter ce que l’on veut, quand on le veut, où que l’on soit.

Marcher sur cinq pieds!

Comme tous les marchés, celui de la musique promet l’espoir d’un plaisir. Notre vrai métier est d’abord d’avoir assez d’empathie pour comprendre ce qu’espère, peut-être inconsciemment, le prospect, ce qui a de la valeur à ses yeux, pas nécessairement aux nôtres. Ensuite, il faut choisir les meilleures ressources disponibles pour susciter l’espoir de cet apport de valeur. Cela dépend des techniques et des ressources humaines disponibles, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci. Aussi l’entreprise durable doit-elle marcher sur cinq pieds : apporter, que ce soit par vertu ou réalisme, de la valeur perçue à cinq parties prenantes. Ses  actionnaires, naturellement, et ses clients actuels. Mais aussi le personnel, les partenaires extérieurs et le ou les territoires où l’on agit, pour être capable d’inventer les clients de demain.

L’entreprise a besoin de mobiliser assez d’intelligence collective afin de rester en éveil, être réactive, renouveler son offre, modifier, voire réinventer son modèle économique. Pour cela, elle doit fournir à chaque membre de son personnel, à ses fournisseurs, à tous les talents avec lesquels elle travaille, de bonnes raisons de consacrer une partie de leur temps de vie à penser et agir avec elle plutôt qu’avec des concurrents. De même, elle doit apporter de la valeur aux territoires où elle intervient car nul ne peut se développer durablement dans un pays qui s’effondre. Ceci signifie que des actions, comme celles du Lab Pareto initié par le CJD, sont particulièrement fécondes. En favorisant la construction de relations loyales et de confiance entre grands groupes et fournisseurs, le Lab Pareto participe à la constitution d’écosystèmes de collaborations gagnant-gagnant. De tels écosystèmes renforcent la résilience des partenaires et celle des territoires. Ils conditionnent notre capacité de développement et de rebond après des catastrophes inattendues comme celle que nous vivons!  Nous ne construirons notre Renaissance que lorsque nous serons plus nombreux à préférer le réussir-ensemble à la meurtrière loi de la jungle.

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