Les époques novatrices ont toujours été celles où les individus se réalisaient dans et par leur travail

Pour son conseil de lecture du jour au président de la République Emmanuel Macron, Brice Couturier a choisi le dernier livre consacré à l’innovation et à l’histoire économique d’Edmund Phelps.

Monsieur le Président de la République, vous prétendez « renouer avec le rêve productif de notre pays ». Vous écrivez dans Révolution : « Depuis trente ans, nous avons choisi de substituer à la croissance économique celle de la dépense publique. Nous avons été très généreux sur les aides sociales […] nous avons construit un modèle de dépenses palliatives plutôt que de dépenses productives. Aujourd’hui, ce modèle est à bout de souffle. » (Révolution p. 76) Le constat est juste et l’intention louable, mais comment redevenir productifs ?

J’ai déjà tenté de montrer pourquoi la productivité, en Occident, en hausse prodigieuse entre 1870 et 1970, n’avait depuis cessé de ralentir, avec des effets désastreux sur les salaires. C’est du même constat que part Edmund Phelps, Prix Nobel d’économie 2006, pour remonter aux causes, tant de cette hausse phénoménale, que de la dépression qui l’a suivie.

« Innovation endogène généralisée »

C’est en cherchant à découvrir les causes de la richesse des nations qu’Adam Smith a fondé, au XVIII° siècle la science économique. La démarche de Phelps s’en inspire. Son livre, La prospérité de masse, qui vient de paraître chez Odile Jacob, constitue une enquête sur les causes du décollage et de la prospérité occidentales et sur celles de sa panne persistante. Comme Adam Smith qui, avant d’être économiste, était d’abord professeur de morale, Phelps refuse de se laisser enfermer dans sa discipline. Il convoque non seulement l’histoire économique, mais celle des idées, des techniques et des institutions ; la philosophie.

Pour lui, le principe actif au cœur de la fantastique machine à produire des richesses qu’a connue nos sociétés s’appelle l’innovation. Ou plus précisément « l’innovation endogène généralisée ». Schumpeter déjà, dans son livre de 1942 constatait que l’innovation était devenue l’affaire de bureaux d’études et non plus d’individus conquérants. « Le contrôle, écrivait-il, prend le pas sur la découverte. » La grande entreprise capitaliste tend à détruire les PME, dirigées par les entrepreneurs qui les ont créées. Elle-même n’a pas besoin de ce type d’homme, mais d’honnêtes et ternes gestionnaires.

Les idées nouvelles, moteur de la croissance

Pour Phelps, l’invention de produits nouveaux et de nouvelles façons de produire a été à l’origine de toutes les périodes de grande prospérité. Ce sont les idées nouvelles et imprévisibles qui sont le moteur de l’histoire économique. Ce qui importe, c’est donc de créer un environnement humain et institutionnel favorable à l’éclosion et à l’exploitation de ces nouvelles idées.

Or, nos économies titubent sous le poids de ce que Phelps appelle « le corporatisme ». Il désigne par là toutes les entraves placées par les bureaucraties et les groupes de pression à la mise en pratique des innovations. L’appareil d’Etat, qui s’est mis à leur service, a tendu à défendre les intérêts en place contre les innovateurs.

Pour Phelps, si l’innovation s’essouffle, c’est que les « valeurs modernes », celles qui animaient les « pionniers » de l’aventure capitaliste à ses débuts (l’imagination, la curiosité, l’audace, l’individualisme) ont fait place à des valeurs traditionnelles. Le corporatisme, imaginé au départ pour protéger les salariés, a tourné au capitalisme de copinage, au clientélisme électoral.

Les valeurs décident de l’économie

Comment les pays occidentaux peuvent-ils retrouver leur ancien dynamisme ? Par des mesures que Phelps détaille dans son livre, mais surtout, souligne-t-il par une révolution culturelle. Car ce sont les valeurs qui décident de l’économie. Celle-ci ne saurait se piloter de manière autonome.

Peut-être pourrions-nous commencer, comme le suggère Edmund Phelps, par diffuser convenablement la culture économique. Beaucoup trop de manuels sont rédigés par des auteurs qui n’ont aucune expérience personnelle de la vie dans les entreprises. Du coup, celle-ci y est décrite de manière caricaturale, sous les angles de « l’’exploitation » et de la « souffrance au travail ». Pour Phelps, les époques novatrices ont toujours été celles où les individus se réalisaient dans et par leur travail…


Crédit: France Culture

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