GAFAM : « C’est un droit humain fondamental que d’être en capacité de s’exprimer librement et de prendre part au débat »

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© Can Stock Photo / Pixavril

Si la censure politique mise en œuvre par les États est bien connue, de nouvelles menaces pèsent aujourd’hui sur la liberté d’expression. On parle beaucoup de cancel culture. Mais comment réagir face à la nouvelle forme de censure exercée par les géants de l’Internet en situation de quasi-monopole ?

« Sans liberté de parole, la véritable liberté est impossible ». C’est le titre du texte que Ayaan Hirsi Ali vient de mettre en ligne. L’écrivaine néerlando-américaine d’origine somalienne s’y inquiète de la dégradation qu’a subie cette liberté d’expression aux États-Unis, ces dernières années. C’est un véritable cri d’alarme, lancé par une personnalité qui sait le prix de cette fameuse liberté. Comme elle le rappelle, elle a « dû elle-même faire face à des menaces de mort » en Europe. « Parce que j’ai choisi de dire ce que je pense de l’Islam, la religion dans laquelle j’ai été élevée, mais contre laquelle je me suis tournée. »

Les plateformes géantes de l’Internet : nouveaux censeurs ?

Dans les régimes tyranniques, écrit Ayaan Hirsi Ali, on sait comment sont étouffées les libertés. La censure est entre les mains d’un petit groupe de personnes qui décident, au niveau de l’État de ce qui peut être dit et de ce qui doit être interdit. La culture, les médias, la science elle-même parfois, sont conçus par le pouvoir comme des moyens de contrôle social. Tout y est politisé dans le sens désiré par le pouvoir. On connaît. Mais ce qui nous menace aujourd’hui, nous autres, démocraties, est d’une tout autre nature. Ceux qui, comme elle, sont attachés à la liberté d’expression sont, en effet, confrontés à deux défis de nature différente. Et aucun n’est de la responsabilité de l’État américain. Le premier, c’est la censure woke (ou cancel culture) qui, sur la base d’une surestimation des pouvoirs du langage, cherche à le contrôler afin d’imposer sa vision particulière de la société.

Après la censure conservatrice, la censure woke ?

Le second défi, c’est celui que posent les grands réseaux de communication privés et en particulier les plateformes de l’Internet. Or, constate Ayaan Hirsi Ali, elles jouissent d’un pouvoir politique indirect considérable. Dans une démocratie, il est loisible aux citoyens de faire appel devant les tribunaux des décisions prises par les agences gouvernementales. Et aux États-Unis, en particulier, ces tribunaux font respecter scrupuleusement le premier amendement de la Constitution, qui interdit au Législateur de rogner la liberté d’expression et de presse. Au fil de sa jurisprudence, la Cour suprême a étendu cette interdiction à l’exécutif fédéral et aux autorités locales. On dit même parfois, à gauche, que les États-Unis ont « une vision absolutiste » de la liberté d’expression puisque son Arrêt Brandenburg versus Ohio en 1969 a donné raison à une section locale du Ku Klux Klan.

Comment des citoyens peuvent-ils faire appel de décisions prises contre eux par des compagnies privées comme Twitter ou Facebook ?

Ayaan Hirsi Ali

Là, nous ne sommes plus que des consommateurs et les plateformes appliquent leurs propres normes de manière parfaitement arbitraire. Elles s’estiment libres d’édicter leurs propres conditions d’utilisation et celles-ci, même aux États-Unis, ne sont pas régies par le Premier amendement, comme leurs patrons ne cessent de le répéter. Elles sont chez elles et elles y font la police elles-mêmes. Mais voilà le paradoxe selon Ayaan Hirsi Ali : « Quand les réseaux sociaux hébergent des contenus toxiques, il est entendu qu’ils ne doivent pas être tenus pour responsables, parce que ce sont seulement des plateformes, hébergeant une grande variété de contenus. Mais d’un autre côté, quand ces grandes sociétés pratiquent la censure, on dit que ce sont des éditeurs privés qui ne sont pas soumis aux obligations du premier amendement. » C’est un peu trop facile. Car ces grandes compagnies en prennent de plus en plus à leur aise avec la liberté d’expression. Les réseaux sociaux vous bannissent pour des raisons parfois aberrantes et incompréhensibles. Amazon décide de ne pas distribuer des livres qui déplaisent à ses cadres, comme le best-seller When Harry Became Sally de Ryan T. Anderson qui met en garde contre les conséquences de la chirurgie transgenre. Alors que la librairie en ligne vend Mein Kampf sans état d’âme.

Liberté d’expression : qui fixe les règles du jeu ?

Quant à la censure woke, elle fait l’objet d’une loi qui vient d’être adoptée par le Parlement britannique. Cette loi vise à « protéger la liberté de parole et à mettre fin aux actions illégales visant à réduire au silence ». Pour la première fois, une telle mesure concernera les syndicats étudiants, dont on attend qu’ils prennent des mesures pour rétablir la liberté d’expression. Les universités qui continueront à laisser certains groupes interdire de parole les orateurs et professeurs qui leur déplaisent s’exposent à des amendes. Le Secrétaire à l’éducation Gavin Williamson a défendu le texte de la loi en ces termes : « C’est un droit humain fondamental que d’être en capacité de s’exprimer librement et de prendre part au débat. Notre système permet d’articuler des points de vue avec lesquels d’autres peuvent être en désaccord, tant qu’ils n’outrepassent pas le seuil où commencent les discours de haine ou l’incitation à la violence. » Les universités anglaises seront tenues financièrement responsables des boycotts organisés par certains de leurs étudiants pour empêcher une personnalité invitée d’y prendre la parole.

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