Isabella Mavellia : entreprendre pour réinventer Venise

PHOTO ISABELLA MAVELLIA
Isabella Mavellia

A 27 ans, Isabella Mavellia que l’on surnomme Ella en est à sa troisième start-up et elle a décidé de participer à la « réinvention de Venise ». Comme beaucoup de Vénitiens, elle veut profiter de cette période inédite pour encourager un nouveau modèle de tourisme. Démarré à Berlin, son projet lui a valu de bénéficier de l’Erasmus for Young Entrepreneurs. Face au tourisme de masse, elle prône le « tourisme durable », thèse de son master d’étudiante.

A bord d’un vaporetto, Isabella se distingue des touristes par sa grande taille et son sourire radieux derrière son masque dans une ambiance morose. Parlant couramment cinq langues, elle s’amuse à écouter les quelques visiteurs venus de toute l’Europe. « La communication interculturelle, c’est mon truc ». Après ses études berlinoises, elle est passée par Sciences-Po Paris et pour apprendre le « vrai français » elle a suivi des ateliers de théâtre à Marseille ! Italo-allemande, elle incarne assez bien la dolce vita et la rigueur germanique « D’un côté, je suis focalisée sur la qualité et le savoir-faire à l’italienne et de l’autre, je suis très concrète et j’aime penser efficacement à la manière allemande ».

Venise, ville d’expérimentation

La jeune femme pressée a fait le pari que les restrictions de voyage liées à la COVID vont se traduire par une demande de voyages digitaux, véritable opportunité pour les personnes enfermées, le tout à des prix très accessibles. Lorsqu’avec son dossier sous le bras, elle s’est heurtée à la lenteur de différentes institutions tétanisées par la crise sanitaire, elle a décidé de monter sa start-up. « Au début du confinement, je me suis dit : ou tu fais tout moi-même ou tu vas perdre du temps ». Loin de l’agitation touristique, c’est dans l’île de la Giudecca qu’elle mûrit son projet au sein d’un incubateur dans cet ancien quartier industriel devenu le premier quartier artistique permanent de Venise, le Giudecca Art District. Elle poursuit en même temps son cursus universitaire à l’Université Foscari et à l’Université internationale de Venise (International Business Administration & Management et Master of Arts in Comparative International Relations). Lauréate du Prix européen de l’Union Européenne, elle bénéficie d’une bourse mensuelle sur 6 mois de 900 euros.

Pour cette passionnée d’art, le choix de Venise s’est imposé comme une « ville d’expérimentation avec son savoir-faire et sa volonté de se réinventer ». Comment aller vers un tourisme raisonné et respectueux de la nature ? « Venise est congelée dans le temps entre Goethe et Thomas Mann. Le tourisme de masse a fait son temps. Venise est parfait parce qu’on peut y apprendre de l’histoire pour répondre au futur »  Son concept repose sur une offre d’itinéraires virtuels, d’événements à suivre en live et du E learning pour donner une visibilité aux artisans, à l’art et à la musique « Ces itinéraires, on peut les étudier à distance en préparation de voyages avec une application, le Grand Tour Virtuel ». Ne pas lui dire que c’est un guide. « C’est une expérience personnelle. GreenEu est un jeu de mots à double sens avec Eu et You, il pousse à la responsabilité de chacun, comme pour la consommation, on peut agir à son niveau pour changer le monde ».

Vivre un idéal

C’est sa mère, la célèbre philosophe Clara Mavellia, fondatrice de lInstitut pour l’entrepreneuriat culturel de Berlin qui l’a encouragé dans ce projet où l’entrepreneuriat peut aider à vivre un idéal. Elle lui a souvent dit qu’il fallait « aller vers ses rêves sans se perdre ». Pratiquant ce qu’elle appelle une « écologie réaliste », elle parle d’« économiquement durable ».  Il s’agit de prendre en compte les demandes des consommateurs et les convaincre par la communication sur « la valeur des choses ». Poco ma buono  en italien. « C’est bien de manifester contre les bateaux de croisière, mais cela ne suffit pas. Il faut agir en amont pour proposer des pistes de solution et promouvoir un autre modèle. Comme pour la consommation, il existe des alternatives au tourisme de masse ».

Pour financer son projet, elle fait du crowdfunding et compte sur les financements européens. D’autant qu’elle a dans ses projets des idées pour dépolluer la lagune et protéger la biodiversité. Ella fédère, il est vrai, un grand nombre de start-ups en Europe dont beaucoup dans les biotechnologies et les solutions pour l’environnement.   En attendant, elle trouve un écho favorable dans une municipalité qui, sous la pression de la population, veut mettre fin aux dérives d’un système et réguler « l’invasion touristique ». Entourée de la célèbre guide conférencière, Stefania Collecchia qui propose des « circuits touristiques ludiques » et de Pim Hofmeester le  « génie créatif » du digital, elle a un soutien de poids en la personne de Marco Scurati, ancien consultant international d’entreprise revenu dans sa ville natale pour s’impliquer comme citoyen actif. Porte-parole du comité pour le Tourisme durable, il voit d’un bon œil l’entrepreneuriat vénitien participer à la « rinascimento » de Venise. « Les associations de riverains c’est bien, mais l’on a aussi besoin d’innovateurs comme Ella pour changer de paradigme économique avec des solutions concrètes, elle relie la tradition à la modernité ». L’enthousiasme d’Ella serait « virale » dans cette cité qui se remet à peine du confinement. L’association Sumus qui œuvre à « réenchanter’ » Venise vient de la contacter dans le cadre d’une enquête auprès des habitants qui font bouger la cité.

« Être entrepreneur pour moi, c’est être exploratrice et inventer en permanence. Je crois fortement qu’il y a une solution pour tout ». Elle reconnaît que sa mission est difficile, car le vieux monde résiste. « Il faut du courage. Résister et croire à son projet. C’est quand ça fait mal qu’il y a de la croissance. Comme dans le sport, les muscles se développent quand c’est difficile ».

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