Hysilabs ou le pari de l’hydrogène liquide

2
En quatre mois, de juillet à octobre, la start-up a vu ses effectifs se multiplier par quatre

Se poser en acteur de la transition énergétique et infléchir ainsi le marché ? Cela ne se fait pas en un jour, quand bien même on est maître d’une innovation de rupture en la matière. Pour autant, Pierre-Emmanuel Casanova et Vincent Lôme, fondateurs de la Provençale Hysilabs, positionnée sur le carburant de demain qu’est l’hydrogène liquide, récoltent peu à peu les fruits de leur stratégie.

C’est reconnu, le passage d’invention à innovation tient notamment au fait que l’on a pu attribuer à sa trouvaille un besoin. Et donc, un marché. Pour structurer le sien, Hysilabs, jeune PME née à Aix-en-Provence (13) et positionnée sur le carburant de demain que sera l’hydrogène liquide, fait montre d’une stratégie dite « push and pull ». Et elle semble remplir son office. Pour preuve, les grands acteurs de l’énergie, non seulement français, mais aussi étrangers, lui font les yeux doux. C’est donc sans surprise qu’elle effectuera bientôt une deuxième levée de fonds de 10 M€ au bas mot, près de deux ans après un premier tour de table qui lui a permis de réunir 2 M€. Dans quel but ? Pour le comprendre, il faut revenir aux prémices de l’histoire de l’entreprise provençale.

La genèse, ce sont les bancs de l’université où Vincent Lôme et Pierre-Emmanuel Casanova découvrent qu’en transportant l’hydrogène avec un vecteur liquide, il devient simple et « secure » de le stocker et de le déployer, ce même sur de longues distances, puisque l’on s’affranchit alors des dangers — explosifs ! — liés au gaz. Leur méthode : produire l’hydrogène à partir d’hydrure de silicium, en présence d’eau, par le biais d’une méthode catalytique brevetée. Une rupture technologique pour ce carburant flexible, d’autant que cette innovation vise de surcroît à générer des quantités d’hydrogène à la demande.

Forts de leur découverte, ils créent ainsi Hysilabs après 10 années de R&D, en 2015, en identifiant deux axes potentiels de développement : le marché du stationnaire et de l’électroportatif, avec un objectif de sécurisation énergétique des sites isolés, et le marché, plus ambitieux encore, de la mobilité. Car il ne s’agit ni plus ni moins que de contribuer aux moyens de transports — et aux vecteurs énergétiques qui leur sont inhérents — de demain. Alors forcément, la route est longue. Ce qui n’empêche pas les deux cofondateurs d’y cheminer sereinement, progressant par palier.

1
Hysilabs se positionne, depuis sa création en 2015, sur le carburant de demain qu’est l’hydrogène liquide

Avancées de concert sur les aspects technologique et commercial

Concentrée prioritairement aujourd’hui sur le marché de la mobilité, Hysilabs devait pour ce faire développer une technicité plus pointue afin de délivrer de l’hydrogène à grande échelle. C’était l’objet d’un premier tour de table, bouclé fin 2017. Pierre-Emmanuel Casanova et Vincent Lôme levaient ainsi 2 M€. Et un bonheur n’arrivant parfois jamais seul, le duo se voyait attribuer dans la foulée, en 2018, le prix EDF Pulse, catégorie Smart City… « Nous avons donc appréhendé les deux volets, le technique et le commercial, ensemble dans une seule et même dynamique. Nous avançons depuis deux ans technologiquement la solution tout en discutant avec les grands industriels de l’énergie », détaille Pierre-Emmanuel Casanova. C’est donc ici que se met en œuvre la fameuse stratégie « push and pull ». « Nous avons tout d’abord échangé avec les utilisateurs finaux et de ce fait, nous avons créé la demande. Maintenant que le besoin a été mis en avant, nous travaillons avec ceux qui vont avoir des capacités de production, stockage, transport de l’hydrogène liquide. Ce sont les pétroliers, les grands énergéticiens, les gaziers. »

Hysilabs se positionne donc en amont dans la chaîne de valeurs, ce pour déployer un carburant qui alimentera les réseaux de stations-service. Dans le viseur, non seulement le roulant, mais aussi le monde du maritime. « On pousse donc le marché et on exerce une traction. Une fois la demande créée auprès des utilisateurs finaux, nous avons appuyé auprès de nos partenaires, l’idée étant de convaincre les industriels qu’il y avait un intérêt à y aller. » Volet commercial qui se double par ailleurs d’avancées sur le plan technologique. « Pendant ces deux ans, nous avons mis à jour plusieurs chemins chimiques, et opéré un benchmark à même d’identifier la meilleure voie de synthèse pour notre hydrogène liquide. Et celle-ci a été livrée en fin d’année dernière. »

Une masse salariale multipliée par quatre

L’heure de la phase de préindustrialisation sonne donc, poursuit le cofondateur. « Il s’agit de préparer cette solution et de l’intégrer dans un démonstrateur grande échelle qui verra le jour d’ici un an et demi. Pour ce travail-là, nous étions quatre au sein d’Hysilabs et nous collaborions avec d’autres acteurs, en externalisé. Or, nous avons ces derniers mois embauché pour tout réaliser en interne. De quatre en juillet dernier, nous sommes à présent près de 15 à œuvrer au sein d’Hysilabs. » Un nouveau tour de table, dans le courant de 2021, va permettre de soutenir la suite de ce projet. « L’objectif est de lever 10 M€, voire davantage, pour accompagner ce développement sur les deux parties, business et technologie, tout en maintenant les brevets d’Hysilabs, ce qui coûte très cher, d’autant que nous en déposons un à deux tous les deux mois. » Hysilabs se structure donc, la pépite compte aujourd’hui avec un service de développement et un département plus commercial, « afin de contractualiser avec nos partenaires d’ici un an, à un an et demi ».

Le duo pose donc ses pierres une à une, nouant dans la foulée des contacts qualifiés. « Le fait d’avoir créé la demande chez les utilisateurs finaux tout en étant lauréats de grands concours nous a permis d’obtenir une certaine reconnaissance. » Outre les acteurs majeurs de l’énergie in situ, partenaires de l’entreprise, ceux de continents plus lointains la sollicitent également. Ils sont basés « en Amérique du Nord et du Sud, en Chine et surtout au Japon, ce dernier fortement positionné sur l’hydrogène ». Et en attendant le grand point d’inflexion, Hysilabs génère du CA grâce à des contrats de soutien de différents industriels, « ce qui nous permet de ne pas vivre uniquement de subventions ou de levées de fonds. On peut le considérer comme du CA, même si ça n’en est pas à proprement parler selon notre modèle économique », lequel est basé sur le licencing. « On soumet le procédé chimique à nos partenaires, on gagne de l’argent à chaque fois que celui-ci est utilisé. » Plein gaz sur le liquide, donc.

Partager cet article