La menace populiste : une leçon tirée de l’histoire italienne du XIIIe siècle

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Crédits : Can Stock Photo / ilixe48

Lorsque les peuples ont le sentiment que les élites minent les institutions démocratiques, ils choisissent parfois de confier leur défense à un puissant prince.

Au Moyen Âge, les cités-Etats italiennes étaient les leaders de la révolution commerciale de leur époque. On y a imaginé des solutions dans le domaine du commerce et de la finance, qui furent progressivement copiées et adoptées par le reste de l’Europe. Cependant, à partir du XIII° siècle, il s’y est produit une série de phénomènes politiques étranges et concordants. Un peu partout, ces petites Républiques semi-démocratiques ont voté le transfert de tous les pouvoirs à un prince. Elles ont renoncé à leurs institutions républicaines pour confier leur destin à des autocrates. Pourquoi ? 

Tous les pouvoirs à un seul homme, afin qu’il les protège de son autorité

Pour Daron Acemoglu et James A. Robinson, qui se sont penchés sur cette énigme, la réponse est simple : « les peuples, voyant qu’ils ne pouvaient pas résister à l’ascension de la noblesse, ont donné tous pouvoirs à un seul homme, afin qu’il les protège de son autorité. La leçon, c’est que les peuples sont disposés à abandonner la démocratie s’ils constatent qu’une élite s’est emparée des institutions. » Eh bien, c’est le processus qui, de nos jours, provoque le populisme. Acemoglu et Robinson, le premier, professeur d’économie, le second de relations internationales viennent de co-signer un livre intitulé Prospérité, Puissance et Pauvreté. Sous-titre : Pourquoi certains pays réussissent mieux que d’autres, qui vient de paraître aux Editions Markus Haller. 

Le populisme, selon eux, comporte trois caractéristiques principales. Il est anti-élitiste, anti-pluraliste et exclusif. Sa formule politique consiste à bâtir une coalition des mécontents, en promettant au peuple de le défendre non seulement contre les élites, mais contre « les autres », ceux qui n’appartiennent pas au « vrai peuple ». 

Distances sociales

Il y a trois bonnes raisons de considérer que le populisme n’est pas une bonne chose, poursuivent les auteurs. Primo, il mine les institutions démocratiques et les droits individuels. Deuxio, il mène à une concentration excessive du pouvoir. Tertio, ses performances économiques, toujours médiocres, mènent à une raréfaction des biens publics.

Or, ajoutent-ils, nos démocraties occidentales, dans leur ensemble, pâtissent d’une situation particulièrement favorable aux appels des populistes ; les peuples soupçonnent, non sans raison, que les distances sociales se sont creusées. Et pas seulement, les inégalités de revenus et de fortunes. Le nombre des gens qui sont insatisfaits du fonctionnement des institutions existantes ne cesse de croître. 

Aux Etats-Unis, les gens estiment que les élites, non contentes de n’avoir pas anticipé la crise financière de 2008, avaient baissé les bras face à la mondialisation et au choc commercial chinois. Et c’est pourquoi ils ont donné la présidence à Trump. En Europe, ils ont eu l’impression que les institutions de l’UE avaient été dépassées par la mobilité du travail et les crises des réfugiés. 

Pour défaire le populisme, on doit reconnaître que le populisme n’émerge sérieusement que lorsqu’existent les problèmes économiques qui lui servent de levier.

Que faut-il faire pour apaiser ces craintes, selon ces deux auteurs ? « Pour défaire le populisme, écrivent-ils, on doit reconnaître que le populisme n’émerge sérieusement que lorsqu’existent les problèmes économiques qui lui servent de levier. […] Cela signifie être honnête et reconnaître que les définitions de ce qui signifie la citoyenneté doivent pouvoir être librement débattues. » Mais surtout, introduire davantage de démocratie dans les institutions, en particulier des référendums ; de manière à ce que les électeurs constatent que leurs problèmes sont pris au sérieux. Il faut en outre mettre en place des mécanismes de représentation parlementaire qui permettent d’obtenir des Parlements plus représentatifs des différentes catégories de la population. 

Capitalisme et populisme

Mais le populisme est parfois utile : pour pousser les gouvernements à briser la puissance des monopoles. Prenez Raghuram G Rajan, l’ancien gouverneur de la Banque de Réserve indienne. Il défend l’idée que « le capitalisme a besoin du populisme ». 

Pour lutter contre la concentration du pouvoir économique et l’influence politique que finissent inéluctablement par s’octroyer les monopoles, les systèmes capitalistes ont besoin de la critique des populistes. Sinon, ils peuvent dégénérer en un capitalisme de copinage tel que celui qui fonctionne en Russie. Les oligarques y doivent leur fortune à la captation des actifs de l’Etat dans les années 90. Et ils ont pu compter sur l’Etat pour les garantir contre la concurrence – en l’échange de leur soumission politique. 

On n’en est pas là aux Etats-Unis, où les géants de l’économie numérique doivent leur succès, eux, aux économies d’échelle et aux effets de réseau et non à la protection politique d’un quelconque gouvernement. Mais, en l’absence de concurrence, ils aussi pourraient être tentés de se reposer sur leurs lauriers et de pousser le gouvernement à les protéger de toute innovation menaçant leurs positions. Par exemple, en faisant voter des tarifs douaniers ou des réglementations.

Démanteler les monopoles et les ententes

C’est aux « citoyens ordinaires » de s’organiser afin – je cite – que « l’Etat maintienne un capitalisme concurrentiel et empêche son glissement naturel vers la domination d’une poignée d’entités dépendantes de la bienveillance des gouvernements. » C’est ce qui s’est produit aux Etats-Unis, au début du XX° siècle, pour démanteler les monopoles et les ententes qui s’étaient créés dans les chemins de fer et le secteur bancaire. Il faut, dans leur propre intérêt, faire subir le même traitement aux monopoles du numérique. 

Crédits : France Culture

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