Biaise-moi (24): « Pas de panique », la boulette rhétorique

Connaîtrons-nous des coupures d’électricité cet hiver ? « Rien ne le montre pas », pourrions-nous répondre, tant la communication du gouvernement et des responsables d’ENEDIS apparaît confuse, au mieux mal coordonnée. Les propos du chef de l’État ont été également maladroits, mais nous donnent l’occasion d’une petite leçon de rhétorique.

Pas de risque de coupures, mais préparons-nous tout de même. Le gouvernement et EDF travaillent sur un scénario-catastrophe, un « cas extrême », pour reprendre les mots d’Emmanuel Macron lors d’une interview télévisée. « Pas de panique ! Ça ne sert à rien » (à 11mn37s sur la vidéo), a assuré le président de la République au cours de l’interview exclusive accordée à TF1 et LCI samedi 3 décembre, au terme de sa visite aux États-Unis. Ces trois dernières années nous ont en effet enseigné que l’imprévisible et l’impensable peuvent surgir. Il est donc sage de s’y préparer, d’accueillir cette incertitude. Ce point de vue est compréhensible et nous avons envie d’y adhérer. « Pas de panique ! » Des mots forts particulièrement appuyés pour rassurer les Français et les convaincre que le scénario du pire ne se réalisera pas.

Or, c’est tout le contraire qui se produit. Malheureusement, la manière dont le président a habillé son propos dessert le message qu’il porte. Ce n’est pas le fond qui est en cause ici, mais bien la forme, la façon dont cela est dit, dont les mots sont choisis.

Quand quelqu’un nous dit « N’aie pas peur ! », nous avons peur. Car notre cerveau n’entend pas la négation. Dès que nous proférons un mot connoté péjorativement, nous lui donnons vie dans l’esprit de celui qui l’entend. « Le cerveau réagit rapidement même à des menaces purement symboliques. Des mots chargés émotionnellement attirent très vite l’attention, et des mots négatifs (guerre, crime) attirent l’attention plus vite que des mots heureux (paix, amour). Il n’y a pas de menace réelle, mais le simple rappel d’un événement négatif est traité […] comme une menace. »[1]

Ayez confiance !

Il importe donc, avant toute prise de parole, de s’interroger sur les émotions que l’on souhaite susciter chez son auditoire et de bien peser ses mots. Si l’objectif est de rassurer, un « Ayez confiance! » est toujours plus efficace qu’un « Pas de panique!« .

En résumé et conclusion, soulignons l’intervention d’Olivier Véran, porte-parole du gouvernement : « on n’est pas en train de dire aux Français qu’il va y avoir des coupures, on anticipe ». Eh bien si, justement… Olivier Véran est précisément en train de dire aux Français « qu’il va y avoir des coupures ». C’est cette idée qu’il instille. Et avec lui le sentiment de méfiance.


[1] Daniel Kahneman, Système 1 / Système 2. Les deux vitesses de la pensée, Flammarion, p.382.

Partager cet article