« Notre destin dépend d’abord de notre travail »

De toutes parts — en particulier en développement personnel, mais aussi en sport, en affaires, sur les réseaux sociaux, dans la vie —, on promet de vous enseigner des secrets. Des secrets qui, bien entendu, vont changer votre vie, vont vous permettre de réussir dans les domaines concernés et de prendre une nouvelle dimension, bref de grandir.

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Crédit : Rachel Claire – Pexels

L’attrait du secret

Je crois bien que le secret est un avatar de la manie de chercher des causalités partout. Ou, plutôt, que nous avons envie de croire aux secrets pour satisfaire notre besoin de trouver des causalités. Si untel réussit, c’est bien entendu qu’il a un secret. S’il n’en a pas, cela signifie qu’il est plus doué, plus compétent, plus intelligent ou que sais-je encore, que moi. Et cela est difficilement supportable. Mais peut-être plus supportable néanmoins que de croire qu’il a de la chance.

D’ailleurs, la porte d’entrée d’un certain développement personnel est le mantra : « Il n’y a pas de hasard ». Laissant comprendre à qui veut bien l’entendre que, s’il n’y a pas de hasard, alors il y a un moyen de piloter le destin et de le tourner en ma faveur. Et s’il y a un moyen (ou une méthode, ou encore des outils, qui ne sont que des modalités différentes), alors quelqu’un peut sans doute me l’apprendre. Vous voici aussitôt passé du stade de prospect à presque client des vendeurs de secrets.

Entendons-nous : bien entendu que les apprentissages sont possibles et que certains sont mieux à même que d’autres de nous les prodiguer.

Mais je crois que le vrai secret réside uniquement dans le travail.

En ce sens, le secret serait plutôt un nombre : les dix mille heures que, paraît-il, il faut passer dans une discipline pour en devenir un expert.

Dans une conférence de Fabrice Cavarretta « Bravoure, génie et autres mythes sur la performance », j’ai appris deux choses sur le sujet. Pour devenir, sinon un génie, du moins quelqu’un de très performant dans une discipline, il faut deux conditions :

  • Que la discipline offre une boucle de feedback très courte. C’est vrai de la musique, du sport, des arts en général. Ce n’est pas vrai du management ou de l’agriculture où les effets de votre action ne se laissent voir qu’après de long mois. Comme si la performance se nourrissait d’un grand nombre de boucles de feedback.
  • Travailler tout le temps.

Vulnérables aux marchands de rêve

L’orateur citait deux contre-exemples apparents : Mozart, génie à 9 ans, et Glenn Gould qui jouait assez peu. Deux contre-exemples bientôt réfutés. Nous savons, par des correspondances de son père, que Mozart a sans doute joué ces dix mille heures entre 6 et 9 ans ; et Glenn Gould confessait jouer en permanence dans sa tête.

Je dirais donc que la bonne nouvelle dans tout cela est que notre destin dépend d’abord de notre travail, c’est-à-dire que notre destin est en grande partie entre nos mains et non dans la tête d’un gourou.

Pour le reste, c’est-à-dire pour cette partie de notre destin qui nous échappe — et qui nous a échappé d’ailleurs depuis le jour de notre naissance, puisque ça n’est pas pareil de naître ici en paix et là-bas sous des bombes —, acceptons cette part irréductible de fortune. Une part qui a au moins le mérite de soulager nos épaules de la responsabilité de nos succès.

Mais nous désirons si ardemment ce succès, nous brûlons tant de réussir vite et avec peu d’efforts que, tels les insectes attirés par les lumières brillantes, nous sommes constamment vulnérables face aux marchands de rêve.

Dans les circonstances où je sens que je pourrais me sentir attiré par la lumière d’un secret, je me rappelle alors cette phrase de Jean Baudrillard : « Le secret, s’il existe, nul, pas même celui qui le détient, ne saurait le communiquer. »

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