Grandes fortunes : les milliards font-ils le bonheur ?

Un individu peut-il vivre décemment avec 50 milliards d’euros ? Pas de doutes. Et avec 5 milliards ? Vraisemblablement. Allons un cran plus loin : qu’adviendra-t-il si cette fortune fond jusqu’à atteindre un petit milliard ? Pas grand-chose. Avec une telle somme, on peut sereinement continuer à mener grand train et à envisager l’avenir avec sérénité. Avec 500 millions également. Et avec 100 millions ? 20 millions ? Avec « seulement » 10 millions d’euros, il est possible pour un être humain de vivoter sans trop se préoccuper des fins de mois.

A quoi peuvent donc alors servir tous ces milliards concentrés dans les mains d’une seule personne ? On a bien sûr le droit d’aimer les bijoux, les repas et les nuits dans les palaces aux quatre coins du monde. On peut s’offrir des voitures et les villas de luxe dans des endroits de rêves. Mais quand on en possède trois, cinq, dix… quel intérêt ? Collectionner les objets, accumuler les 0 derrière le 1 sur ses comptes en banques, tout cela rend-il vraiment heureux ? Certes, comme le disait Coluche, il vaut mieux être riche et en bonne santé que pauvre et malade. Mais la richesse ne provoque pas mécaniquement le bonheur.

Quand on parle de milliards, on tutoie les étoiles. On ne sait pas quoi mettre derrière ces sommes littéralement astronomiques. Celles-ci ont un sens quand elles se rapportent à des budgets comme ceux de l’éducation nationale ou de la santé. Mais concentrés entre les mains d’un individu ou d’une famille, ces milliards défient l’entendement.

Ces réflexions ne sont pas celles d’un gauchiste contrarié qui rêve d’expropriation et de meilleures répartitions des richesses. Elles n’émanent pas non plus d’un catholique pratiquant habité par les valeurs de partage. Elles ne sont pas celles d’un écolo qui constate que les milliardaires rejettent plus de carbone dans l’atmosphère que les plus modestes. Non, pas de jugement moral derrière cet état de fait. Juste une profonde incompréhension face à une situation qui apparaît absurde.

Chrématistique aïgue

Il y a en effet un seuil à partir duquel accumuler encore plus d’argent n’a tout simplement plus de sens. Pourquoi vouloir toujours plus quand on dispose déjà de très largement assez pour vivre comme on le souhaite, dans le luxe et l’opulence ? Qu’est-ce qui se joue dans le cerveau ? Comment expliquer ce qu’Aristote appelait la « chrématistique », à savoir cette tendance à l’accumulation de monnaie (en particulier) sans autre finalité que son plaisir personnel ?

Posons la question au psychanalyste. Ce trouble mental pourrait être lié au rapport que le petit enfant entretient avec les objets. Il ne fait pas la différence entre le « moi » et le monde, il y a confusion entre intériorité et extériorité. Le monde fait comme partie de lui-même. A un moment — vers trois ou quatre ans — l’enfant réalise qu’il ne peut pas tout s’approprier. Un manque apparaît. Manque que rien ne pourra combler.

Le neurobiologiste quant à lui pourrait répondre que cela nous renvoie à l’époque où l’homo sapiens devait se battre pour trouver sa subsistance, et que ce trait demeure profondément ancré en nous. Une affaire de striatum et de dopamine. Ce qui est plus particulièrement impliqué ici, c’est le circuit de la récompense, un ensemble de neurones, dont le striatum constitue un pivot essentiel. Ce circuit nous fait déraisonner et préférer l’excès à la modération.« Les structures profondes de notre cerveau qui fonctionnent à grand renfort de dopamine ne possèdent pas de fonction stop », écrit Sébastien Bohler[1].

Les explications de ce phénomène sont multiples et toutes malheureuses. Ce qui est sûr, c’est que si les fortunes des milliardaires étaient utilisées à réparer et embellir ce monde, cela n’aurait aucun impact sur leur niveau de vie. Fondamentalement, rien ne changerait pour eux. C’est peut-être cela le plus triste dans le débat sur les milliardaires lancé par Oxfam.


[1] Sébastien Bohler, Le bug Humain, Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher, Robert Laffont, 2019, p.63.

Crédit Photo : Can Stock Photo – peshkova

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