Economie : la loi des trois chocs

L’économie mondiale est confrontée à une série de chocs majeurs intervenus sur un temps court. Après avoir dû surmonter la crise financière 2008/2009 puis celle des dettes publiques (essentiellement en zone euro), les pays occidentaux doivent à présent gérer coup sur coup la crise covid et celle liée au conflit entre l’Ukraine et la Russie. Ces chocs interviennent en parallèle à la décarbonation des activités qui provoque une hausse des prix de l’énergie et des matières premières nécessaires à la transition.

1 – La crise covid : une inflation née de la désorganisation de l’offre et des plans de relance sur fond de liquidités abondantes

La crise de la Covid a provoqué une déformation de la structure de la demande des services vers les biens. Début 2022, la consommation des ménages en biens au sein de l’OCDE est supérieure de 10 % à son niveau de fin 2019 quand celle des services est en retrait de 5 %. Par ailleurs, la pandémie a désorganisé le système de production. La production de biens utilise beaucoup plus de matières premières, de transport, de semi-conducteurs que la production de services. L’éclatement des chaînes de valeur a comme conséquence qu’un blocage ou un problème dans un pays se répercute dans de nombreux autres. La Chine, notamment, doit faire face à des à-coups en lien avec les décisions de confinement des pouvoirs publics qui appliquent avec difficulté une politique de zéro covid.

Cette situation explique la hausse des prix de l’énergie, des métaux, du transport maritime et des semi-conducteurs constatée à partir du milieu de l’année 2021. Les prix des métaux comme le cuivre ou le fer ont progressé de 30 % en 2021 ; ceux des métaux précieux de plus de 80 % et ceux prix de l’énergie de 60 %. Le prix des semi-conducteurs a été multiplié par trois comme celui du fret maritime.

2 – Le choc de la guerre en Ukraine : la peur des pénuries de matières premières, d’énergie et de produits agricoles

La guerre en Ukraine provoque une forte tension sur les prix de toutes les matières premières produites en Russie ou en Ukraine : pétrole, gaz naturel, charbon et métaux. Le prix des métaux a augmenté en quelques jours de 75 % et celui du blé de plus de 50 %. La crainte de pénuries provoquées par l’incapacité de l’Ukraine de produire et de vendre, ainsi que par la mise en place d’embargos à l’encontre de la Russie et de la Biélorussie, entraîne une forte hausse des cours dans un contexte de forte demande.

3 – La transition énergétique : une inflation au long cours

La transition énergétique a un effet de long terme sur les prix. Elle nécessite la réalisation d’équipements coûteux. En raison du caractère aléatoire des énergies renouvelables et des capacités de stockage, des infrastructures redondantes doivent être prévues, ce qui augmente leur prix. Ces énergies nécessitent un apport important en métaux dont certains rares, cuivre, nickel, aluminium, palladium, lithium ou cobalt. Depuis deux ans, le prix du lithium a été multiplié par huit et celui du cobalt par trois.

La transition énergétique, de manière contrintuitive, conduit à la hausse des énergies fossiles. La demande en énergies fossiles pourrait baisser moins vite que prévu. Des effets de reports du charbon vers le pétrole ou vers le gaz sont probables.

Le développement économique des pays émergents et en développement occasionne une forte hausse de la consommation énergétique. L’offre tend à augmenter moins rapidement que la demande en raison du sous-investissement et de l’épuisement des réserves. Les investisseurs délaissent les énergies carbonées au profit de celles qui ne le sont pas, ne favorisant pas de la sorte les recherches de nouveaux gisements et l’amélioration des techniques. Une hausse du prix des énergies fossiles est à attendre toute chose étant égale par ailleurs.

De la désorganisation de l’offre liée à la crise covid à la transition énergétique, en passant par la crise ukrainienne, tout concourt pour une hausse relativement forte et durable de l’inflation. En lien avec la progression de la base monétaire, l’abondance des liquidités constitue le carburant de l’inflation qui ces dernières années s’était essentiellement logée dans les prix des actifs, financiers et immobiliers.

Des hausses de salaire en prévision ?

Au sein des pays de l’OCDE, pour le moment, les salaires nominaux augmentent moins que les prix entraînant une perte de pouvoir d’achat. En ce début d’année 2022, l’inflation est en moyenne de 6 % pour des gains salariaux inférieurs à 4 %. Cette érosion des salaires réels pourrait peser sur la croissance des prochains mois. Elle conduit les pouvoirs publics à soutenir les ménages et les entreprises au prix d’un surcroît de dépenses publiques. La réduction des déficits publics sera plus lente que prévu. Après avoir atteint 12 % en 2020, ils étaient censés revenir autour de 6 % cette année. Quoi qu’il en soit, le scénario à 2 % d’inflation d’ici la fin de 2022 dans la zone euro prévu par la BCE semble compromis. La banque centrale avait tablé sur une décrue de la hausse des prix au cours du second semestre permettant une sortie progressive de la politique monétaire expansionniste. Le retour de l’inflation autour de 2 % était censée éviter un relèvement des salaires pouvant provoquer une spirale de hausse des prix.

L’augmentation rapide des prix de l’énergie, des matières premières et des céréales pourrait inciter les salariés à demander une révision à la hausse de leurs rémunérations. Si l’inflation se maintient entre 5 et 6 % en 2022, ils ne se contenteront pas des 2,5 % de revalorisation de 2022. L’inflation pourrait donc se maintenir au-dessus des 2 % en 2022 et 2023, obligeant par exemple la BCE à durcir plus rapidement que prévu sa politique monétaire. Compte tenu des négociations salariales au sein de la zone euro, la BCE constate pour le moment les revalorisations des salaires restent modestes.


Crédit Photo : Photo de Miguel Á. Padriñán – Pexels

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