La bataille économique de l’après-crise sanitaire est déjà lancée

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Le processus de concentration devrait s’accélérer avec la crise sanitaire, non seulement au sein des secteurs d’activité mais aussi au niveau international. Les pays les plus compétitifs dégageant des excédents au niveau de leur balance des paiements courants devraient contrôler une part plus importante des capitaux économiques au détriment des pays les moins compétitifs. La Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Allemagne, ainsi que les États d’Europe du Nord et de l’Est devraient ressortir gagnants. La France, l’Italie et l’Espagne sont dans une situation plus délicate. Les États-Unis demeurent à part en raison du rôle joué par le dollar et par leurs multinationales.

La crise de la Covid a entraîné une perte de fonds propres pour les entreprises, avec le recul des profits et une hausse de l’endettement des entreprises. Au sein des pays de l’OCDE, la progression du crédit aux entreprises est passée de 4 à 17 % de la fin 2019 à la mi-2020.

En sortie de crise sanitaire, face à la dégradation de leur situation financière, les entreprises souhaiteront redresser rapidement leur profitabilité. Les profits après taxes et dividendes qui dépassaient 13 % du PIB en 2019 devraient repasser en dessous de 11 % en 2020 et 2021. Cette baisse sera sans nul doute compensée sur deux ou trois ans. Cette volonté pourrait aboutir en cas de maintien de faibles gains de productivité à une déformation du partage des revenus au détriment des salariés, comme cela a été constaté après la crise des subprimes.

La volonté de redressement de la profitabilité peut également conduire à une réallocation géographique du capital. Au sein de l’Union européenne, cette situation pourrait profiter aux pays d’Europe de l’Est qui combinent des coûts salariaux faibles, une pression fiscale faible, des compétences élevées de la population active et une sécurité relative, en particulier au niveau juridique.

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Philippe Crevel

Le coût horaire moyen dans les pays d’Europe de l’Est est de 12 dollars contre 43 aux États-Unis et 40 en France et en Allemagne. Les impôts sur les entreprises représentent 8 % du PIB dans les pays d’Europe de l’Est comme aux États-Unis, contre 17 % du PIB en France. Au niveau des compétences de la population active mesurées par l’OCDE (enquête PIAAC), les pays d’Europe centrale et Orientale (PECO) devancent nettement la France (score de 269 contre 258).

La fin de l’industrie française ?

À la sortie des crises des subprimes et des dettes souveraines, comme en Italie et en Espagne, la France avait enregistré une baisse de l’investissement des entreprises et de l’investissement direct en provenance de l’étranger, signes manifestes d’une perte d’attractivité.

Depuis 2003, l’industrie s’est concentrée en Allemagne et dans les PECO au détriment de la France, de l’Italie et de l’Espagne. Les pouvoirs publics doivent éviter la reproduction de ce phénomène qui pourrait aboutir à la fin de l’industrie française. Celle-ci est, en effet, particulièrement exposée à la crise.

Avant la crise du covid-19, la France pouvait compter sur quelques secteurs d’activité pour lesquels elle disposait d’avantages comparatifs indéniables. L’aéronautique-espace, le luxe, la pharmacie, l’agroalimentaire, le tourisme et la finance constituaient la colonne vertébrale du pays. En revanche, ces vingt dernières années, l’industrie automobile a fortement reculé du fait des délocalisations. La France n’occupe plus que la sixième place en termes de production alors qu’au début du siècle elle se classait deuxième derrière l’Allemagne. Notre pays maintient avec difficulté son rang dans la construction navale et ferroviaire. Le luxe, l’aéronautique et les produits pharmaceutiques compensent la moitié du déficit commercial concernant les biens manufacturiers. Sans ces produits, ce déficit dépasserait 100 milliards d’euros. Les touristes étrangers sur notre territoire génèrent une dizaine de milliards d’euros d’entrées chaque année. Si de 2003 à 2019, la production manufacturière a reculé de 10 % en France, celle de l’industrie aéronautique avait progressé de 80 % sur la même période. Depuis 2008, les déficits commerciaux, hors secteurs phares de l’économie française, se dégradent en lien avec le recul de la production manufacturière.

Plusieurs questions se posent pour la France. Dans combien de temps l’épidémie sera-t-elle enrayée et cela signifiera-t-il le retour à la normale, en particulier en ce qui concerne l’activité touristique ? Le trafic aérien est passé en quelques semaines de 400 millions de passagers/mois à 100 millions. En 2019, la France avait accueilli plus de 89 millions de passagers. Cette année, le nombre devrait se situer entre 10 et 20 millions. Le secteur du luxe, qui est très dépendant des visiteurs internationaux, a enregistré une baisse de son chiffre d’affaires depuis le début de l’année de 15 %. Un non-retour à la normale rapide pourrait occasionner d’importantes destructions de postes sachant que les secteurs de l’aéronautique, des transports, de l’hôtellerie et de la restauration représentent plus de 12 % de l’emploi total.

Les industries agroalimentaire et pharmaceutique n’occupent que 2 % de la population active en France et ne pourront à eux seuls assurer le plein emploi et l’équilibre du commerce extérieur. L’objectif central de la politique économique devrait donc être de faciliter l’émergence de nouveaux secteurs forts, en particulier dans la transition énergétique (batteries électriques du futur, hydrogène, biocarburants, capture du carbone, éolien offshore, etc.), dans l’intelligence artificielle ou les objets connectés.

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