La Chine de plus en plus visible et crainte

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Photo de Suzy Hazelwood provenant de Pexels

Les relations entre la Chine et la France se sont tendues au milieu du mois de mars après la publication d’un tweet mettant en cause un chercheur français, Antoine Bondaz, membre de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) travaillant notamment sur Taïwan. L’ambassadeur de Chine à Paris a été convoqué au Quai d’Orsay sachant qu’il avait, à plusieurs reprises, indiqué que son pays n’acceptait plus de se soumettre au diktat des Occidentaux en matière des droits de l’Homme. Il avait été convoqué au mois d’avril 2020 au sujet de propos déplacés concernant l’épidémie de Covid-19. Cette tension est liée à la décision de l’Union européenne, du Canada, du Royaume-Uni et des États-Unis d’appliquer des sanctions contre plusieurs dirigeants chinois du Xinjiang, région du nord-ouest de la Chine où demeurent les Ouïghours, un peuple turcophone et à majorité musulmane sunnite.

Les relations entre les Occidentaux et la Chine sont de plus en plus complexes du fait du poids croissant de cette dernière et de sa volonté de s’affirmer comme une grande puissance économique et militaire. La cohabitation entre le système communiste de marché et le système libéral de marché qui était de mise depuis 1978 se fissure. Après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, les valeurs libérales se sont imposées dans le monde entier. La Chine a pleinement accepté les règles de l’économie de marché à travers son adhésion notamment à l’Organisation Mondiale du Commerce le 11 décembre 2001. Cette acceptation vaut certes pour l’économie, mais ne s’applique pas aux aspects politiques du libéralisme. Convaincus que l’effondrement de l’URSS était la conséquence d’une faible compétitivité économique et de l’engagement d’un processus de libéralisation politique avec la perestroïka, les dirigeants chinois ont opté pour un développement de l’économie tout en renforçant le système du parti unique. Ils ont, de ce fait, décidé à réduire au maximum les libertés publiques en vigueur à Hong Kong qui avaient été octroyées pendant le mandat britannique. La Chine a réduit la part des législateurs élus au suffrage direct de 50 à 22 % et exige qu’ils soient contrôlés pour leur « patriotisme ». Le 12 mars dernier, de manière assez modérée, le groupe des démocraties du G7 a condamné la répression autocratique de la Chine à l’encontre de Hong Kong considérant que c’était une violation des obligations du traité du pays. Les diplomates chinois ont démenti tout comportement contraire au droit international.

Malgré le contrôle de plus en plus sourcilleux de Pékin, Hong Kong continue de connaître une forte croissance. La ville conforte son rang de principale place financière asiatique qu’elle partage avec Singapour. Les entreprises occidentales comme Morgan Stanley et Goldman Sachs sont de plus en plus présentes à Hong Kong. L’année dernière, la valeur des paiements en dollars américains compensés à Hong Kong, plaque tournante de la monnaie de réserve mondiale, a atteint un record de 11 000 milliards de dollars. Si la Chine est de plus en plus montrée du doigt, elle continue à attirer les capitaux étrangers. Plus de 163 milliards de dollars de nouveaux investissements multinationaux ont été comptabilisés en 2020, plus que tout autre pays. Les autorités décident d’ouvrir progressivement les marchés des capitaux aux étrangers.

La Chine dont l’économie pèse plus de 18 % du PIB mondial devient jour après jour le nouveau cœur du capitalisme. Elle génère désormais, à l’instar des États-Unis, de nouvelles tendances de consommations. Compte tenu du poids de ses importations, les prix des matières premières et de l’énergie sont de plus en plus fixés par la Chine qui a désormais les moyens d’imposer ses normes. Malgré l’absence de tribunaux totalement indépendants, les entreprises sont contraintes d’accepter la réglementation chinoise.

Contrairement aux espoirs des Occidentaux après l’adhésion de la Chine à l’OMC, celle-ci ne s’est pas banalisée, la démocratisation du régime est restée lettre morte. Au contraire, celui-ci met en avant que les pays occidentaux soient entrés dans une phase de déclin du fait de l’absence de consensus et de la montée de l’individualisme. Face aux atteintes aux droits de l’Homme et au non-respect des règles du commerce international, l’administration américaine sous Donald Trump a opté pour la coercition avec l’instauration de droits de douane et de sanctions. Cette politique n’a guère eu d’effets tangibles. La campagne de trois ans contre l’entreprise Huawei, accusée d’espionnage à travers les équipements qu’elle fournit pour la 5 G n’a pas été suivie par les autres pays. Sur les 170 pays qui utilisent des produits Huawei, une douzaine seulement l’ont interdit. Pendant ce temps, de nombreuses entreprises technologiques chinoises ont renforcé leurs positions en Occident. La crise sanitaire a conduit à un renforcement de la présence économique chinoise au sein des pays occidentaux.

La Chine réalise 22 % des exportations mondiales de produits manufacturés. Ses produits sont incontournables dans de nombreux domaines : informatique, électronique, automobile, énergie, pharmacie. La mise en place de produits de substitution en Europe comme aux États-Unis mettrait du temps. Par ailleurs, un grand nombre de grandes entreprises européennes et américaines se sont implantées en Chine. Elles seraient les premières victimes en cas de guerre économique majeure. Le secteur bancaire tout comme celui du luxe en France sont très dépendants de la Chine. Interdire à ce pays d’utiliser le dollar est aujourd’hui quasi impossible, sauf à vouloir déclencher une crise financière mondiale.

Au niveau international, la Chine à la croisée des chemins

Les autorités chinoises souhaitent sécuriser leurs routes commerciales avec la Nouvelle Route de la Soie, diminuer l’influence des États-Unis en Mer de Chine et affirmer leur rôle de première puissance asiatique. Les États-Unis en tant que protecteur du Japon, de la Corée du Sud et de Taïwan, entendent rester présents dans cette zone devenue le cœur de l’économie mondiale.

La Chine souffre d’un isolement relatif en Asie du Sud Est du fait qu’elle compte comme voisins la Corée du Sud ou le Japon, mais elle peut compter sur le soutien de nombreux pays émergents. Elle peut du fait de son poids commercial infléchir les positions de certains gouvernements traditionnellement alliés des Occidentaux. La Chine occupe une place dominante dans le commerce international. Elle est le premier partenaire commercial de marchandises de 64 pays, contre seulement 38 pour l’Amérique. Au lieu d’isoler la Chine, l’Amérique et ses alliés risquent de s’isoler. La situation de la Chine n’est en rien comparable à celle de l’URSS en 1991. Cette dernière avait été affaiblie par une guerre de dix ans en Afghanistan et dépendait de ses exportations de gaz. La Chine dispose désormais d’une économie diversifiée qui est compétitive. Elle pourrait devenir autosuffisante même pour des biens de haute technologie comme les semi-conducteurs. La Chine est influente économiquement avec plus de 40 000 entreprises présentes à l’étranger qui emploient des centaines de milliers de salariés. Les collectivités publiques occidentales tentent de les attirer au nom de l’emploi.

Cette dépendance est aujourd’hui sujette à craintes. Les gouvernements de l’OCDE souhaitent revoir les chaînes d’approvisionnement. Ils estiment que les autorités chinoises font preuve d’ingérence que ce soit à travers le cloud ou par la présence d’étudiants et de chercheurs au sein des universités. Plus de 500 000 étudiants chinois fréquentent les universités américaines et peuvent accéder aux laboratoires de recherche.

Les Américains estiment nécessaire de renforcer les moyens militaires et les alliances de revers contre la Chine, que ce soit avec l’Inde, le Japon, la Corée du Sud ou l’Australie. Si Donald Trump souhaitait imposer des concessions à la Chine par la force et la contrainte, Joe Biden semble opter pour un endiguement en associant les alliés traditionnels des États-Unis. Le sujet d’attention est Taïwan dont le rattachement à la Chine continentale est toujours d’actualité pour les dirigeants de ce pays.

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